. Les lamentations de l'agneau

[Doughnut]

Auteur : Kei Toume
Genre : Seinen, Psychologie, Drame
Volumes : 7 (Delcourt)
Parution : 1996-2002 (terminé)
Adaptations : 4 OAV, 3 drama et un film live.

Je crois que c'est ma première série de type tragédie. Je n'aime pas les tragédies : ça ne bouge pas, ce n'est pas drôle, ça foisonne pas de suspense, bref, a priori rien pour me divertir. Et j'ai adoré les lamentations de l'agneau.

L'histoire se déroule à Tokyo dans les années 90, où Kazuna Takashiro suit une vie normale de lycéen. Ou presque, puisqu'il n'a aucun contact avec sa véritable famille et vit chez des parents adoptifs. Un beau jour, alors qu'il pose pour son amie dessinatrice, Kazuna est pris d'un malaise étrange et s'évanouit. En se remémorant sa vieille maison familiale, il décide d'y retourner, et rencontre alors sa sœur Chizuna qui lui révèle le secret de la lignée Takashiro : depuis des siècles ils sont sujets à une maladie incurable et dangereuse qui les rend assoiffés de sang humain. C'est ainsi qu'une nouvelle vie commence pour lui, une vie de réclusion et de désespoir.

Les Takashiro sont donc des espèces de vampires, mais sans le look ni les super pouvoirs dont on a l'habitude. Leur maladie est un poison : s'ils ne boivent pas de sang, ils piquent occasionnellement des crises de violence incontrôlables, s'affaiblissent, et meurent à petit feu. Dès l'apparition des premiers symptômes, ils sont condamnés à vivre un calvaire perpétuel, luttant contre une folie indomptable et dont seule la mort peut les libérer. Première singularité que j'ai trouvée à la fois prometteuse et de bon goût. Il faut tout de même savoir à quoi s'attendre : on est loin, très loin de Hellsing, Vampire Knight ou encore Dance in the Vampire Bund.

Reprenons donc : quand Kazuna apprend que lui et sa sœur gravement malade sont les derniers survivants, il décide de revenir vivre avec elle au foyer familial, chacun essayant de soulager la peine de l'autre, cherchant réconfort dans une solitude jamais aussi envahissante. Bien qu'ils soient frère et sœur, lui remplace son père, elle remplit le rôle de la mère. A moins qu'ils ne soient amants. Les histoires se recoupent, les destins se croisent, ils développent une relation vraiment étrange, unique (et heureusement non salie par l'inceste, qui aurait été vraiment de mauvais goût ici) seuls au monde car seuls à pouvoir supporter leur fardeau, leur ami médecin qui tente d'aider ne peut guère que leur offrir des calmants ou plutôt des drogues qui ne peuvent à terme que rapprocher de la mort. Kazuna, sous l'influence de sa sœur, coupe court aux contacts de son ancienne vie : sa famille adoptive, les amis, la fille qu'il aime. Car au mieux ils ne peuvent pas l'aider, au pire Kazuna peut les tuer.

C'est lorsqu'on apprend à vivre sans espoir qu'on mesure le bonheur de vivre sa petite vie d'étudiant, bercé dans l'insouciance comme dans l'ignorance, et Kazuna ne manque pas d'en prendre conscience. Tout au long de l'histoire on découvre un peu plus du passé de la famille Takashiro : comment la mère est morte, comment le père retrouve sa femme à travers sa fille grandissante, comment un enfant voudrait que les chaudes mains qui enserrent son cou aillent jusqu'au bout, comment un homme se suicide lorsque la réalité brise à terme ses illusions. La souffrance de Kazuna n'est d'ailleurs pas la seule dépeinte dans le manga. Les efforts conciliants de ses parents adoptifs sont sèchement rejetés, sa copine est marginalisée sans plus de cérémonie. Certains passages sont très étouffants, notamment le quotidien dans la demeure Takashiro (une résidence traditionnelle) où le vide et la chaleur des lieux impose une atmosphère surréelle, pesante, dans laquelle l'attente d'une mort inexorable côtoie en même temps la peur d'affronter le monde extérieur.

Alors, pourquoi j'ai apprécié le manga ? Eh bien pour commencer j'ai trouvé le comportement des personnages très réaliste, c'est ce qui fait une grande part de l'intérêt de ce genre de manga. Le héros aurait pu se poser exagérément en victime, Chizuna aurait pu être excessivement possessive et donc agaçante, certains personnages auraient pu être puérilement jaloux. D'autres auraient pu être des "méchants". Il n'y en a pas, et ce n'est pas la maladie qui justifie tout. Chaque réaction m'a parue contrastée à souhait, trop et ça aurait été lourd, pas assez et le manga aurait manqué de conviction. On se sent ainsi au plus proche des protagonistes, aussi concernés qu'impuissants devant leur lente agonie. Par ailleurs si le thème est assez classique (malédiction, vampires...), le traitement du sujet est vraiment original, que ce soit dans le choix des éléments de background, le déroulement et la structure de l'histoire ou encore le dessin de l'auteur. Je l'ai trouvé assez irréprochable, chaque personnage est adapté à son caractère, les expressions sont claires, les points de vue, l'agencement de l'action contribuent pleinement à la compréhension, l'atmosphère dégagée par les lieux visités correspond à la tonalité du récit.

Enfin, ce que je craignais, c'était une fin qui ne conclut pas grand-chose. Heureusement celle-ci achève bien l'histoire, même si elle m'a laissé un sentiment un peu ambigu : terminer le manga un chapitre plus tôt aurait rendu l'histoire plus belle, mais le dernier chapitre, bien qu'un peu décevant sur un point, en certain sens conclut l'histoire de manière plus courageuse.

Bref, en tout et pour tout, un manga sombre et sophistiqué, très bien ficelé, à lire quand on recherche un peu (beaucoup) plus de profondeur que dans un mainstream shonen convenu.