Undercurrent
Tetsuya Toyoda
Intrigué par l'aquarelle monochrome de sa couverture, "Undercurrent", roman graphique de 300 pages publié dans la collection "Kana - Made In", figurait depuis longtemps sur la liste de mes envies littéraires, et autant le dire tout de suite, le résultat a été à la hauteur des attentes que je nourrissais : un petit chef-d’œuvre du genre que j'ai immédiatement eu envie de vous faire partager.
Undercurrent. En anglais, ce terme signifie littéralement courant, lame de fond. Mais au sens figuré, ce mot peut aussi se traduire par l'idée de sous-entendu, ou d'allusion lorsqu'il est appliqué à la notion de sentiment.
L'histoire qui nous est racontée est celle de Kanae, une jeune femme d'une trentaine d'années, à la réouverture de l'établissement de bains publics qu'elle tient avec l'aide occasionnelle de sa tante, et de Hori, un homme envoyé par le Syndicat des Bains pour assister Kanae. "Tsuki no yu", littéralement "Bains de la lune", est en effet resté clos pendant de longs mois, suite à la disparition brutale et soudaine de Satoru, l'époux de Kanae, au cours d'un voyage avec le Syndicat des Bains.
Ce qui frappe d'emblée, c'est le vague, la nostalgie, l'étrangeté du regard de Kanae et de Hori. Tout est, en effet, un peu flou dans l'esprit de Kanae : elle vit dans l'absence de son mari, ne sait ni s'il est vivant, ni s'il est mort (l'idée d'un suicide est régulièrement évoquée) et s'interroge sur les raisons de sa disparition. Était-elle trop caractérielle, n'a-t-elle pas assez fait attention à lui, voulait-il dire quelque chose ? Au fond, que savait-elle de lui ?
Et d'un autre côté, qui est donc cet Hori, aux réactions inertes, qui entretient le mystère sur son passé, sur ses origines et semble décidé à mener une vie de vagabondage et d'errance ?
D'un point de vue scénario, c'est très bien fait. Il y a un petit air de Taniguchi ("Quartier lointain", entre autres) dans ce synopsis. Toutefois, sans sombrer dans le pathos ou la lourdeur, l'histoire tient en haleine jusque dans les toutes dernières pages et apporte à la résolution de l'intrigue une conclusion surprenante et réaliste, interrogeant directement le lecteur : cherche-t-on à connaître les autres, ou voulons-nous simplement qu'ils soient ce qu'ils doivent être pour nous ?
Graphiquement, c'est également très beau et très clair. Les séquences oniriques où Kanae se laisse aller à des songes mi-rêves, mi-cauchemardesques sont de toute beauté. La narration est parfaitement fluide et le style simple et limpide, ouvrant presque la voie à l'adaptation cinématographique. Le genre d’œuvres qu'on referme un sourire aux lèvres, certainement ma plus belle découverte du semestre.
Quelques planches et dessins :