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. La Chronique : Naruto, cet animal ! (2)

 
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Le Vieux
Étudiant à l'académie


Inscrit le: 21 Nov 2007
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MessagePosté le: Lun 06 Oct 2008, 1:32 pm    Sujet du message: La Chronique : Naruto, cet animal ! (2) Répondre en citant

"Après la fin de l'Histoire, les hommes construiraient leurs édifices et leurs ouvrages d'art comme les oiseaux construisent leurs nids ou les araignées tissent leurs toiles, exécuteraient des concerts musicaux à l'instar des grenouilles et des cigales, joueraient comme jouent les jeunes animaux et s'adonneraient à l'amour comme le font les bêtes adultes."
Alexandre Kojève.

Le Salut.

1. On va reprendre cette histoire d’animalité mais avec un angle d’approche un peu différent. Cette fois, je vais partir d’un bouquin, Génération Otaku. Les enfants de la postmodernité de Hiroki Azuma. Le projet de ce texte est de réexaminer à la lumière du livre d’Azuma les interprétations auxquelles nous étions arrivés lors de la dernière chronique.

2. Génération Otaku a été publié au Japon en 2001. Il aborde le problème de ce nouveau public avide de mangas et de RPG, amoureux d’une certaine virtualité, et tente de mettre à jour les structures qui lient les conditions de création des œuvres à ceux qui les consomment. Son hypothèse générale est assez simple : le manga et ses modes de production sont emblématiques d’un nouveau rapport au monde qui caractérise l’humanité postmoderne, humanité postmoderne dont l’Otaku serait la figure achevée.

Otaku désigne « les personnes qui se passionnent pour une forme de sous-culture qui réunit la bande dessinée, les dessins animés, les jeux électroniques, l’ordinateur, la science-fiction, les effets spéciaux, les figurines etc. ». Au Japon, le terme a été très sollicité dans les discours sociologiques au moment du drame Miyazaki et des attentats de la secte Aum.

3. Mais, cette perspective sociale n’intéresse pas Hiroki Azuma (bien qu’elle légitime l’actualité de son projet). Ce qu’il essaie de repérer, c’est un rapport entre les productions et leur public d’une part et la condition de l’homme d’autre part. A cet égard, il fait intervenir un philosophe occidental, Alexandre Kojève.

Kojève est connu pour ses cours sur Hegel mais ce qui passionne Azuma (et l’ensemble des penseurs nippons), c’est une petite note ajoutée à la seconde édition de son ouvrage le plus fameux, Introduction à la philosophie de l’Histoire ; dans cette note, Kojève présente les deux seules « voies d’existences » envisageables selon lui après l’effondrement des « grands récits »: « l’animalité » et « le snobisme ». Cette note aurait été écrite après que Kojève a séjourné quelques temps au Japon.

Les « grands récits », ce sont ces grands systèmes de croyance et d’interprétation qui relient l’homme au monde, par exemple les idéologies politiques (ou religieuses) à travers lesquels le militant (ou le croyant) engage son action sur le réel. Leur effondrement, entamé dès la fin de la première guerre mondiale, laisse donc, selon Kojève, à l’homme deux possibilités : d’une part, « l’animalité », la poursuite de la satisfaction des besoins en dehors de toute valeur transcendante ; d’autre part, « le snobisme », le maintien désabusé et purement formel des restes des grands récits (« les rituels »). L’animalité serait américaine, le snobisme japonais.

4.Cette note a eu au Japon un écho important. Les intellectuels nippons ont voulu interpréter le succès des mangas comme une forme de ce snobisme « posthistorique » (la fin des grands récits signalant une certaine fin de l’Histoire) : quand les Otakus lisent un manga ou participent à un RPG, « ils ne le font pas dans le but de trouver le sens de l’œuvre ni pour se lancer dans une action sociale quelconque », ils le font pour retrouver des éclats de récits, des bouts de formes, des fragments purement esthétiques détachés de toute transcendance. Les mangas sont les décombres des grands récits falsifiés qui ne cachent pas leur falsification.

Mais Azuma se distingue de cette interprétation en remarquant que, pour la génération actuelle d’Otakus, la notion de « grands récits » n’est plus opérante. Les mangas ne se rapportent plus à une totalité ordonnée qui, quoique fantomatique et sans effets, pourrait être recomposée ; ils s’élaborent plutôt à partir une « base de donnée », un stock sans signification « d’éléments d’attraction » (moé). L’Otaku "snob" rêvait encore de grands récits expliquant le monde ; il les maintenait sans illusion sur leur pouvoir, pour combler le déficit de sens de l’existence contemporaine. L’Otaku "postmoderne", quant à lui, ne recherche plus que des atomes isolés qui ne portent aucun projet, des bouts de plaisir qu’il consomme sans autre souci que sa satisfaction immédiate. Il conserve le cynisme de l’Otaku initial goûtant les "récits" et les bouts de représentation mais il ne les relie plus entre eux, il n’en tire aucun cérémonial, aucun code rituel totalisant : il les consomme sans autres commentaires. En cela, le lecteur de manga actuel serait une curieuse chimère : un animal snob.

Azuma donne plusieurs exemples de cette « ère de l’animal ». Le mode de composition quasi-mécanique des personnages de manga qui ne sont, selon lui, qu’une combinaison marketing de différents éléments d’attraction : « oreille de chat », « queue », « ange », « soubrette », « superpouvoirs ». L’adoration de tel personnage, devenu idole (aidoru), serait le signe d’un amalgame réussi. Azuma rapproche enfin les Otakus des Kogarus, ces jeunes adolescentes qui vendent des fragments de leur intimité (voire davantage) comme « indépendamment de leur vie sexuelle, sans la moindre réticence » : le corps serait, pour elle, un élément d’attraction autonome et insignifiant.

5. En lisant vos commentaires de la dernière chronique, j’ai eu le sentiment que mon texte avait été le prétexte à un éloge de l’animalité de Naruto. J’insistais sur l’absence de réflexivité du personnage et sur les connotations positives qu’une telle impulsivité animale avait dans le manga de Kishomoto. En général, vous avez réagi à ces remarques en célébrant le rapport « véritable » de l’animal à l’univers.

Naruto est un pur produit postmoderne : son animalité désigne et comble dans le même temps notre impression d’écart par rapport au monde. Un tel personnage ne peut exister qu’à partir du moment où l’humanité s’est détournée des grands récits qui nous reliaient au monde matériel : c’est au creux de leur disparition qu’un enfant renard peut figurer quelque chose comme un salut possible. Il va sans dire qu’une telle promesse est aussi une manière de flatter ce qu’il y a d’animal, de désabusé et de profondément hostile à l’effort de signification et transcendance dans la génération Otaku. L’animalité de Naruto serait alors un élément d’attraction faisant sa propre promotion.

Le Vieux
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Hiroki Azuma, Génération Otaku. Les enfants de la postmodernité, Paris, Hachette Littérature, coll. Haute Tension, 2008, 190 p.
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