La vie est au bout du crayon
Les copeaux de bois tombent sans vie au fond de la corbeille à papier, à moitié pleine. Enfin la pointe de carbone qui vient de voir le jour peut se poser sur la feuille de papier encore vierge. La pointe bouge, danse, exécute des mouvements compliqués et calculés, et dessine des formes, rondes et pures. Ces formes se précisent au fur et à mesure que la mine passe et repasse. Un animal ou deux, des dragons, des fées, la jungle et le désert... Tout prend vie et s'anime. Les oiseaux s'envolent et le soleil se couche. La rosée, se dépose sur les feuilles, que j'ai colorié vertes foncées, gouttes d'eau claire et pure qui s'estompent, gommées une fois le soleil haut dans ce ciel que j'ai fait si bleu. Un agréable parfum de bois frais et de fleurs à peine écloses se répand tout doucement dans ma chambre.
Mais malheureusement même si tous ces dessins ont une vie éclatante, elle reste éphémère. Et les bruits de pas feutrés de ma sœur dans les escaliers me fait ouvrir les yeux, et tout s'arrête. Je soulève mon crayon à contrecœur, et les battements d'ailes des oiseaux se figent dans leurs mouvement ainsi que le chant de la sirène couché sur la rive du lac se fait silencieux. Ma porte s'ouvre et ma sœur, le visage presque aussi figé que mes dessins, apparaît. Elle me dit d'une voix lasse:
"-On passe à table."
Elle fait demi-tour et s'engouffre dans le couloir sombre. Lentement je me lève de mon siège et contemple une dernière fois cette feuille de papier remplie de plus de vie qu'il n'y en aura jamais dans cette maison. La fée au premier plan esquisse un sourire débordant d'énergie, et le renard à sa gauche me fait un clin d'œil complice. Je leur sourit à mon tour et leur fait la promesse silencieuse de revenir rêver avec eux, mes créations, après le repas morne qui m'attendais. Dans cette maison grise et fade se trouve mon sanctuaire... Mon imagination et ses recueils, des mondes différents avec chacun leur propre histoire, tous rangés dans ce classeur rouge que je cache sous mon matelas. Comme quelqu'un tiendrait un journal intime, moi, chaque jour, un nouveau monde vient s'ajouter à ma collection. Il arrivera un jour où je ne saurais plus quoi dessiner. Et ce jour-là, je retournerais visité toutes ces dimensions que j'ai créer, une par une.
Je pose mon dessin sur ma table de nuit. Il me reste encore quelques finitions à faire... Je trouve que la fourrure du renard n'est pas assez belle. Avec un soupire, je sors de ma chambre et me prépare à affronter ma famille. Je ferme la porte. Celle de ma chambre, ou de l'imagination? En tout cas je ne la fermerais jamais à clé.
De cette histoire il ne faut retenir qu'une seule chose... La vie n'est qu'au bout du crayon.