Titre : Les Gouttes de Dieu.
Tomes paru en France : 2.
Tomes paru au Japon : 15.
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Les Gouttes de Dieu (Kamino Shizuku, Glénat, à partir du 2 avril 2008), de Tadashi Agi et Shu Okimoto, célèbrent l’engouement relativement récent des palais nippons pour le vin, particulièrement français. Un œnologue japonais réputé, collectionneur de bouteilles prestigieuses, décède en laissant sa fabuleuse cave en héritage, par le biais d’un testament sous forme de chasse au trésor.
Son fils légitime, Shizuku Kanzaki, a été quasiment génétiquement programmé par le nez et par le goût pour suivre ses traces. Il est néanmoins dépourvu de connaissances théoriques sur le vin, pour avoir choisi une voie différente. Afin de rentrer en possession de son bien, il devra partir sur les traces de douze grands crus, ainsi que d’un treizième, mystérieux nectar idéal baptisé « Les Gouttes de Dieu ». Mais il lui faudra compter avec l’opposition d’un concurrent résolu à le déposséder, un jeune spécialiste des vins adopté avec machiavélisme par son père une semaine avant sa mort !
Cette intrigue d’une redoutable efficacité est signée par le duo de scénaristes dénommé Tadashi Agi. En fait un frère et une sœur s’étant déjà signalés sous un autre pseudonyme, Yûya Aoki, avec Get Backers (Pika, 2003). Ils font preuve ici d’un remarquable travail de recherche sur le terrain, effectué dans des régions de production vinicole comme le Bordelais ou la Bourgogne. Tandis que leur capacité d’évocation des vins cités dans le cours du récit, se référant avec originalité à la peinture ou à la musique, parle à l’affectif. Sans jamais confiner à la leçon austère, d’où son accessibilité pour le lecteur néophyte. La dessinatrice Shu Okimoto ne réussissant pas moins à traduire graphiquement, avec un certain brio, la poésie du vin.
Le 18 mars 2008, une présentation de cette bande dessinée japonaise a réuni au Village Manga du Salon du Livre de Paris des dégustateurs chevronnés. Entre autres, Albert Algoud, pour la circonstance maître de chais, curieux d’en apprendre plus sur le sujet ; Michel Dovaz, professeur à l’Académie du vin, auteur et journaliste expert en œnologie ; ainsi que Stéphane Ferrand, directeur éditorial chez Glénat. Ce dernier précisant que Les Gouttes de Dieu font partie de ces mangas dits de bouche ou de métier, où il va s’agir de suivre la progression du héros, jusqu’à atteindre un sommet en tant que professionnel confirmé. Le tout traité sur un ton semi-réaliste, en s’autorisant des fantaisies scénaristiques. Voire en s’appuyant sur la notion de nekketsu (littéralement « sang bouillant »), induisant le fait de s’enflammer pour son sujet.
Une passion similaire anime Michel Dovaz, préfacier de ce titre millésimé Glénat 2008, quand il parle du vin, soulignant la liaison naturelle et directe susceptible de s’établir entre ce breuvage et le dessin. Après Sommelier [1], cette excellente cuvée concrétise une nouvelle étape dans la relation privilégiée en train de se construire entre la France et le Japon. Appelée de ses vœux par le tout aussi enthousiaste Dominique Véret, pour avoir publié de son côté chez Delcourt un manga consacré au pain « Donnez-nous notre manga quotidien... », un autre de nos trésors nationaux.
Le succès de la série Les Gouttes de Dieu dans son pays d’origine, où sa publication se poursuit depuis 2005 (15 volumes), aurait contribué à y démocratiser la consommation du vin. Écoulée à plus d’un million d’exemplaires en Corée du Sud, elle inciterait ses lecteurs à se rendre dans les bars dédiés à cette boisson avec leur manga favori sous le bras. Afin d’y goûter les bonnes bouteilles françaises qui y sont évoquées ! À notre tour donc de découvrir ce grand cru, à apprécier sans modération, à condition d’être en âge d’en découvrir toutes les subtilités, fiches techniques en fin d’ouvrages à l’appui…
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LE FIL LIVRES - "Les Gouttes de Dieu", BD nippone au goût de polar, plonge dans l'univers du vin : succès d'édition en Asie, au Japon mais aussi en Chine. Et en Corée, où les ventes de bourgogne ont augmenté de 130 %…
« Quand le prestigieux oenologue Y. K. décède, son testament est clair : son extraordinaire cave reviendra à celui de ses deux fils qui résoudra douze énigmes concernant douze vins. Il découvrira alors un treizième et mystérieux flacon, surnommé “les Gouttes de Dieu”. Une chasse au trésor sous forme d'enquête policière, qui va confronter deux frères au caractère et au parcours diamétralement opposés... » A la lecture du synopsis, on se dit qu'on tient le feuilleton de l'été. Une grande saga sur fond de vignoble, de traditions et de trahisons familiales. Du patrimoine en tranches de cinquante-deux minutes, prétexte à visiter les châteaux du Médoc, les caves de la côte de Nuits, et à chanter les délices de la dive bouteille. Bref, une histoire bien de chez nous, tant il est vrai que notre pays est le royaume du vin et qu'il y a en chaque Français un sommelier qui sommeille. Eh bien, non. Tout faux. S'il n'est pas exclu que Les Gouttes de Dieu soit un jour adapté pour le petit écran, pour l'heure c'est un pur manga, écrit et dessiné par Tadashi Agi et Shu Okimoto. Une production 100 % nippone qui, depuis sa parution en 2004, fait un tabac au pays du Soleil-Levant.
Certains lèvent déjà les yeux au ciel, car il y a des sujets avec lesquels on ne plaisante pas. « Qu'est-ce que des amateurs de saké peuvent bien connaître au vin ? Et d'ailleurs, de quoi se mêlent-ils ? Ah, ça doit être joli, tiens ! Sûr que les vignerons ont tous la tête d'Alain Delon, et que la châtelaine, c'est la petite sœur d'Amélie Poulain ! »
Eh bien, amis détracteurs, il n'en est rien. Rarement un ouvrage de fiction consacré au vin aura autant évité les clichetons et les trémolos. Quant à la fiabilité des nombreuses informations qui émaillent le récit, elle est, de l'avis des experts, quasi irréprochable. Aucune bourde, les étiquettes des bouteilles sont dessinées au détail près, et toutes les anecdotes relatées sont véridiques. Cependant, le tour de force est ailleurs : ce manga rend accessible au plus grand nombre un univers jusque-là réservé aux « connaisseurs ». « Les Gouttes de Dieu, résume Stéphane Ferrand, directeur de collection chez Glénat, qui publie la série, c'est un habile mélange entre Le Vin pour les nuls et un polar qu'on a du mal à lâcher. » De fait, les auteurs ont parfaitement réussi à appliquer l'efficacité des techniques narratives du manga au monde du vin. Et cela sans artifices – pas de crimes, de fantômes ni de monstres surgissant des barriques –, juste en jouant sur les personnages, les figures emblématiques et les spécificités du monde viticole. Qui aurait pu se douter que la substitution d'une bouteille par une autre puisse ainsi nous tenir en haleine sur une bonne cinquantaine de pages ?
Les auteurs n'en sont pas à leur coup d'essai. Sous le pseudonyme de Tadashi Agi se cachent en effet Yuko et Shin Kibayashi, frère et soeur à la ville, qui ont déjà signé quelques séries fantastico-policières à succès, comme Get backers et Psychometrer Eiji. Un tandem de jeunes quinquas, très « bohèmes chics » nippons, initiés dès l'enfance à la gastronomie française par leur grand-père. Des « mordus » qui ont fait de nombreux voyages consacrés à la dégustation, notamment en Bourgogne. Bluffant même à l'occasion les viticulteurs du cru. Producteur de vosne-romanée, Emmanuel Rouget – qui figure à son insu (!) dans le tome 2 – se souvient encore de « la sensibilité de leur palais » et de « leur capacité à mémoriser très précisément les vins qu'ils ont goûtés ». « Nous avons voulu changer l'image austère que le vin a encore largement en Asie, expliquent Yuko et Shin Kibayashi. Montrer que ce n'est pas un alcool "formel" et sophistiqué, réservé à une élite, mais une boisson qui donne libre cours à l'imagination et à l'inspiration... Lorsque nous buvons un vin ensemble, nous essayons de trouver des expressions ou des images plaisantes mais inhabituelles pour le décrire. C'est une sorte de jeu, dont la seule règle est de ne jamais utiliser le langage des sommeliers (1). »
On imagine assez mal un vendeur de chez Nicolas comparant, comme dans le manga, un moutonrothschild à L'Angélus de Millet ou un premières-côtes-de-bordeaux à un concert de Queen ! Pourtant cette audace, ce sacrilège qui offensera plus d'un gardien du temple, ne déplaît pas à certains pontes. Professeur à l'Académie du vin de Paris, auteur de plusieurs encyclopédies qui font autorité, Michel Dovaz ne s'est pas fait prier pour préfacer Les Gouttes de Dieu. « Au début du XXe siècle, le langage du vin était ampoulé, "bachique", souvent ridicule, on parlait alors de "cuisse de nymphe". Puis on est passé à un vocabulaire technique, savant, rébarbatif... Il est bon de sortir le vin de tout cela, d'avoir comme dans ce manga une approche ouverte, "moderne", qui joue sur les sens et l'émotion. Comme le disait Debussy : "La musique ne s'apprend pas, le plaisir est la règle." Il en est de même avec le vin. »
Un plaisir auquel les plus riches pays d'Asie sont en train de succomber. Succès au Japon, la série, qui compte déjà quinze tomes, enthousiasme également les Chinois et passionne les Coréens. Avec des conséquences inattendues. La simple mention d'un vin dans le manga suffit à déclencher des réactions pavloviennes, du genre « je le vois, je le veux ». Ainsi l'éloge du château-mont-pérat 2001, qui ne compte pourtant pas parmi les plus prestigieux domaines du Bordelais, a provoqué un pic des commandes. Deux jours après la parution, un importateur taïwanais en a subitement acheté cinquante caisses, et aujourd'hui les bouteilles s'arrachent au Japon. Grands bénéficiaires de cette nouvelle soif : les vins français, et particulièrement les bourgognes, choyés dans le manga. L'engouement est spectaculaire en Corée du Sud, où il y a clairement un avant et un après-Les Gouttes de Dieu. Depuis sa publication, en 2006, les ventes de bourgogne ont augmenté de presque 130 % ! « Là-bas, explique Nelly Blau-Picard, responsable export au Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne, il n'est pas rare que les acheteurs viennent dans les bars à vin qui fleurissent à Séoul, avec leur exemplaire sous le bras, et montrent directement la bouteille dont ils ont envie. L'année dernière, sans savoir ce qui se passait autour de ce manga, nous sommes allés faire goûter nos vins en Corée : en une journée, nous avons reçu la visite d'une quarantaine d'entreprises, plus de neuf cents personnes ! » Un manga qui donne envie de déboucher de bonnes bouteilles, difficile de rêver meilleure aubaine. Reste à savoir si les buveurs d'eau ou de sodas, qui dans l'Hexagone composent le gros des lecteurs de BD japonaises, seront sensibles à ce moderne cheval de Troie.