La question mérité d'être posée.
La pensée précède l’acte. Elle anticipe, prévoit et impose l’acte qui suit docilement. On sait déjà tout ce que l’on va faire à l’avance. Il n’y a là aucune fantaisie, aucune part à la créativité, aucun champ libre.
Je sens que mon bras me démange et quelques secondes plus tard je le gratte. Quel cliché peut être plus banal que celui-ci ? Pourquoi ne pas dévier le cours naturel et couru d’avance des choses ? Pourquoi ne pas se mettre à jeter la première chose qui passe à portée de main en hurlant : « O Sole Mio » ? Pourquoi ne pas se mettre à frapper dans les mains en claquant des dents ? Pour ne pas faire tout plutôt que de s’adonner frénétiquement à un mouvement de va et vient faisant en sorte que le bout des ongles frotte l’épiderme et calme par la même occasion la sensation de démangeaison ? Pourquoi accepter d’être ce que la pensée a prévu que l’on soit ?
Il suffit pourtant de peu pour se sortir de ce cadre parfaitement rigide. Une méthode testée personnellement est explicitée ci-dessous.
La première étape née de l’émergence d’une simple idée subversive, légèrement bancale, un peu mal calibrée par rapport à son précédent ensemble de pensée. Alors, on se rend compte des défauts de l’ensemble formé par le soi mouvant et le soi ordonnant. On entre dans un état de « dissonance cognitive », cet état de tension, de malaise qui est du à la présence simultanée de deux cognitions (idées, opinions, croyances) qui ne s'accordent pas. Cet état se produit lorsque l’on prend conscience que deux pensées ne s'accordent pas ou encore qu'une cognition n'est pas en adéquation avec nos actes. L'être en état de dissonance cognitive est au bord de l'implosion car il craint d’affirmer sa contradiction intrinsèque.
Afin de ne pas sombrer dans l’errance intemporelle de cette première étape qui est souvent vécue comme une descente progressive des cercles de l’enfer, un deuxième stade s’impose. Il existe en effet différentes stratégies (ou « modes de réduction de la dissonance cognitive ») pour tenter de sortir de cet état nécessaire :
- On peut modifier ses comportements pour les mettre en accord avec ses pensées, ou faire l'inverse (gratter son orteil à la place de son coude ; se dire qu’on l’on irait bien s’allonger plutôt que de s’irriter l’épiderme)
- On peut aussi chercher à rationnaliser ses actes en minimisant les éléments dissonants (se convaincre que la démangeaison n’est qu’un fruit de l’esprit et non une réalité sensorielle comme le serait par exemple le fait de voir sa main dans une cheminée et de sentir simultanément un flux thermique important sur la même partie du corps)
- On peut également ajouter des éléments consonants (frapper la partie du corps en démangeaison afin de détourner l’attention de notre esprit)
Ces moyens qui ne sont en réalité que des leurres, amènent petit à petit le sujet à une prise de conscience post-traumatique : comment réagir lorsqu’une idée mal rabotée vient se glisser dans mon esprit ? La voir dérégler l’ensemble en le faisant entrer en résonnance et accepter de n’être alors plus que le stéréotype de soi même ? Craindre ainsi de confirmer le stéréotype au risque de voir le sujet mis en échec ? Ou décliner durablement une savante alchimie des deux premières étapes afin que du chaos dissonant rejaillisse l’apparente irrationalité créatrice du sujet qui a réussi à s’extirper de son propre modèle.
La menace du stéréotype marche de façon contextuelle, ponctuelle.
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"Tu vas te manger un coup de poing dans ta sale tronche de merde, tu vas rien comprendre à ta sale vie de merde" (JSP)
"et sa truffe raclait le sol, dessinant un pentagone régulier de manière admirable" (Yun)