Saleté de tempête ! J'avais rédigé un très long message sur la dernière chronique et paf ! coupure d'électricité ! J'ai tout perdu alors que j'avais pratiquement fini !
Voilà, c'est terminé !
Je vais essayer de restituer de mémoire ce que j'ai pu écrire. Pardonnez d'avance les faiblesses et éventuels manques.
Tout d'abord, c'est avec regret que j'apprends l'arrêt de la chronique. Même si son langage était parfois abscons voir, osons-le dire, pédant, elle était toujours enrichissante.
Faisons-lui donc honneur une dernière fois !
La dernière Chronique a donc pour thème l'opposition entre les personnages qui voient le monde comme fait de signes (Itachi, Sasuke, Kakashi, Neji, Saï et Pain), selon "la" conception traditionnelle orientale et Naruto, animal, apôtre du présent et du matérialisme, occidental.
Depuis que Roland Barthes a écrit "L'empire des signes", l'opposition entre l'orient royaume des signes-réalité et l'occident royaume de la des signes-outils et de la matière est en passe de devenir une tarte à la crème.
On remarquera pour commencer qu'à l'exception de Saï, tout ces personnages sont dotés de dojutsu. Cela rejoint de façon évidente la chronique où il était question de la façon dont les aveugles sont perçus dans la culture japonaise : parce qu'il sont aveugles à la réalité immédiate, ils voient au-delà du visible et sont plus clairvoyants que les personnages "normaux".
Les porteurs de dojutsu s'inscrivent dans cette thématique : ils voient au-delà de la réalité immédiate.
En contrepartie, il est extrêment difficile des les convaincre qu'ils sont dans l'erreur. Le seul moyen pour les
convaincre est alors de littéralement les
vaincre (remerciements à Mangekyo Yakuman
).
Saï fait exception parce qu'il n'a pas de dojutsu et n'est pas clairvoyant (nous dirions au contraire qu'il est "à côté de la plaque"), pourtant lui aussi est aveugle, aveugle aux émotions.
Pour le Vieux, Kishimoto n'aime pas Naruto parce qu'il entre en contradiction profonde avec l'univers qu'il a créé. Il n'a pas le sens l'histoire, est un apôtre du présent et du matériel qui ne voit pas le monde comme fait de signes, mais fait d'épreuves et d'obstacles. (Pour cette phrase ma mémoire m'a fait quelque peu défaut
)
Naruto regarde vers l'avenir et il est symptomatique qu'à aucun moment il ne se préoccupe de savoir qui sont ses parents, une thématique pourtant indissociable de l'orphelin.
On remarquera que ces personnages qui voient le monde comme signe sont tous emprisonnés par et dans leur passé, ce qui les empêche de vivre pleinement, alors que Naruto, au moins à l'origine, est tourné vers le présent et le matériel, est débraillé, mal coiffé, il n'a que faire des signes.
Saï là encore fait exception, il est hors du temps, il n'a plus ni passé (avant de rencontrer Naruto), ni présent, ni avenir. Il représente un échec du dialogue signe/matière : il n'est plus qu'un signe qui n'est pas la réalité, comme le montre son clone d'encre. Il est vide. Que Naruto lui rende son passé et par là son avenir est symptomatique des changements de notre personnage principal. J'y reviendrai.
Je pense que c'est une erreur que de considérer Naruto comme occidental et ces personnages comme orientaux. Naruto représente au contraire une part fort ancienne mais bien vivante de la psyché japonaise, et méconnue car éclipsée par d'autres aspects plus raffinés de la civilisation japonaise.
Burlesque, grotesque, vulgarité, couleurs criardes, excentricité, amour pour la matière brute, jusque dans l'alimentation, amour de l'instant présent, tout cela n'a nullement eu besoin de l'occident pour exister au Japon, comme nous l'ont appris les anthropologues, ou de manière plus immédiatement accessible, nombre d'artistes japonais.
Naruto est un personnage profondément japonais, et sa relation avec ces personnages ne relève pas de l'opposition mais du dialogue, de la dialectique pour employer un mot savant.
Il représente le Japon d'après 1945, tourné vers l'avenir et matérialiste, qui a renoncé aux signes qui l'ont si cruellement trahi lors de la guerre. Madara Uchiwa, porteur du sharingan et qui donc lui aussi voit le monde comme fait de signes (tout comme Itachi, le monde est pour lui un théâtre d'ombres), et son amour de la guerre, représente ce passé du Japon.
L'enjeu n'est pourtant pas la victoire de l'un sur l'autre, mais bien le rééquilibrage entre le monde comme signes et le monde comme matière.
Au début Naruto n'est tourné que vers l'avenir ("Je serai hokage"), mais il devient lui aussi prisonnier d'un personnage de son passé via sa quête pour ramener Sasuke au village, le ramener du passé mortifère au présent vivant. Mais parce qu'il est obsédé par Sasuke, Naruto s'imprègne lui aussi du passé. C'est ce qui lui permettra de ramener Saï parmi les "vivants". La mort de Jiraya fera vivre à Naruto sa deuxième grande expérience de la perte du présent, du présent qui se transforme en passé (la première étant le départ de Sasuke de Konoha), et nous montrera également un début de clairvoyance chez lui, lorsqu'il sera le seul à pouvoir comprendre les signes laissés par Jiraya.
D'ailleurs la place de Jiraya dans ce dispositif serait à étudier : il a renoncé à comprendre ceux qui voient le monde comme fait de signes (Orochimaru, pour qui la découverte de la mue du serpent blanc fait naturellement signe). Pourtant il croit qu'ils peuvent changer le monde (la littérature).
Enfin une dernière remarque qui n'a pas de rapport avec la dernière chronique (ou très lointain). On remarquera que Naruto n'est pas le moteur de l'action, il la subit pratiquement toujours. En cela il est très différent de héros plus traditionnel du shonen (comme Sangoku dont la quête des 7 dragon ball fait démarrer l'histoire, ou Luffy et la recherche du One Piece). En ce sens il est représentatif de certaines évolutions du manga shonen.