Bon allez c'est parti !
Ce n'est pas du grand art (surtout la mise en page : impossible de faire des alinéas), c'est assez long (qui sait vous aurez peut-être une indigestion ) et puis ... ben zut vous verrez bien par vous même ! ^^
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La nuit se retirait, sa longue traîne d'obscurité glissant entre les arbres, ombre qui s'étiole sous les premiers rayons de soleil. Quant aux étoiles, elles s'éteignaient une à une, mouchées par la lumière matinale.
Deux prunelles noires se levèrent vers le ciel, naguère noir, désormais bariolé de rose et de jaune. Y demeurèrent fichées. Priant, suppliant la nuit de rester. Pour ne pas voir le jour apporter de nouveau carnages. Pour ne pas le voir se lever sur les restes sanglants. Oublier la veille. Oublier la mort.
L'espace d'une nuit il y avait cru. Une nuit d'après bataille. Un entre deux soleils où les morts montent à la lune et les vivants se reposent. La nuit avait dissimulé le sang de ses mains et l'avait bercé jusqu'à ce qu'il s'endorme et oublie.
Mais le bleu s'étendait de plus en plus, diluait le rose et le jaune, effaçait les dernières touches de noir, formant un tapis d'azur à la lumière.
Et crevait l'espace pour un jour de début Juin.
***
C'est sa mère qui l'avait tiré de son sommeil.
Il fût étonné de la voir avec son uniforme et ses deux katanas dans le dos alors qu'elle avait eu droit à une semaine de repos après une sale blessure au bras. Ce n'est qu'après qu'il finit par percevoir les détonations et les cris qui parvenaient de l'extérieur tandis que sa mère l'entraînait vers la porte.
Dehors il avait vu de la fumée et des flammes s'élever de la porte du village. Son cœur s'était serré. Une attaque ennemie.
«- Mikoto ! entendit-il son père crier avant de le voir émerger de la masse compacte que formait les Uchiwas. Prend le commandement du groupe 4. L'ennemi a pénétré dans le village. Il faut les intercepter avant qu'ils ne s'éparpillent ...
- Je vous rattraperai, coupa sa mère. Le temps de faire sortir Itachi hors de Konoha. C'est trop dangereux de le faire aller aux refuges. Le clan est trop éloigné. Il risque de se faire tuer avant de pouvoir rejoindre les abris.
- Tu ...
- Fugaku ! Dépêchons-nous ! héla une voix parmi la foule.
- Fais vite, souffla son père en courant prendre la tête des Uchiwas.»
Déjà sa mère l'avait pris dans ses bras et s'élançait en direction du mur d'enceinte alors que le soleil se levait.
Ils furent stoppés en cours de route. Par deux ninjas. Sa mère l'avait déposé par terre et s'était placé entre lui et leurs deux agresseurs tout en tirant ses deux katanas de leurs fourreaux. Un assaut suffit. Les deux ninjas s'écroulèrent la gorge tranchée. Mikoto s'approcha du second, agonisant mais encore en vie.
- Raté. Pas assez profond. Maudite blessure, jura-t-elle. Crétin ne crois-tu pas qu'il y a mieux à faire ? Le village est attaqué ; tu aurais été plus utile à combattre l'envahisseur plutôt que de me suivre de la sorte.
Et elle plongea son katana dans la poitrine du ninja vaincu.
- Vite Itachi. Reviens par là, l'appela-t-elle.
Il se retrouva de nouveau dans ses bras. Avec la vision des yeux écarlate de sa mère, lorsqu'elle avait regardé les deux ninjas, qui ne le quittait pas. Des ninjas avec la veste et le bandeau de Konoha.
Ils parvinrent enfin au pied du mur d'enceinte. Sa mère se dirigea vers deux buissons et lui fit signe de venir. En s'approchant il distingua un souterrain entre les branches.
- Passe par là, lui dit sa mère en le serrant dans ses bras. Il te conduira de l'autre côté du mur. Va te cacher dans la forêt et ne bouge pas de là tant que la bataille ne sera pas terminée. Evite de croiser des ninjas, qu'ils soient ennemis ou de Konoha c'est compris ? Et puis si tu en croises ... tiens prend ça avec toi.
Elle sortit un kunaï de sa sacoche et le tendit à Itachi.
Une explosion retentit au loin.
- Allez-file.
Et il avait filé dans le souterrain. Pour ressortir à la lisière de la forêt. Toujours sans un mot.
***
Itachi détacha enfin son regard du ciel devenu entièrement bleu. C'était une belle journée. Une journée de 9 Juin.
Lui, il était assis sur un rocher. Epuisé et dégoûtant de crasse.
Et il voulait que la nuit revienne.
A cet endroit le terrain montait et il avait trouvé refuge à un petit replat rocheux entouré par les arbres. Avec son corps d'enfant il avait pu se faufiler dans un creux entre les rochers empilés. Sur le coup il avait eu un peu peur de déranger un animal mais finalement non. Pas d'animaux à proximité. Les combats étaient trop proches.
Un souffle d'air fit danser les feuilles des arbres dont les ombres virevoltèrent sur le sol. L'une de ces petites tâches vint effleurer la main d'Itachi. Une main sale et noirâtre. Noircie par du sang. Sec et noir. Itachi regarda ses mains. En grattant il parviendrait peut-être à s'en débarrasser, pensa-t-il.
Aussitôt il se mit à frotter énergiquement ses mains sur une plaque de mousse du rocher. Seulement la mousse s'effritait rapidement et la plaque verte ressemblait maintenant à de la bouillie de terre et de miettes végétales. Et il finit par se râper les mains sur la roche.
Assez déconfit, il regarda ses mains terreuses où il restait des traces noires et sèches. Ce sang ne voulait pas le quitter.
Un croassement le fit sursauter. Itachi se retourna et se trouva nez à bec avec un corbeau.
Ce dernier l'observait de ses yeux brillants, la tête penchée tantôt à droite, tantôt à gauche. Itachi retint son souffle. Le corbeau était joli, il n'avait pas envie de le voir partir.
Aïe !
Itachi porta sa main à sa bouche. Le corbeau lui avait pincé le dos de la main.
Croâ !
L'oiseau avait gonflé ses plumes et prenait un air menaçant et indigné. Il ressemblait à une grosse boule de plumes noires.
- Tu m'as fait mal, lui lança le gosse entre deux lèchements de sa patoune qui saignait. Je suis vivant moi va manger quelqu'un d'autre.
Croâ !
Le corbeau battit furieusement des ailes et prit son envol. Le gamin se prit une aile noire dans la figure et au passage les serres de l'oiseau lui griffèrent l'épaule. Le volatile se percha sur une branche en tenant l'enfant à l'œil.
Croâ !
Itachi lui tira la langue et s'enferma dans un silence boudeur.
Un grondement sourd lui vint aux oreilles avec une sensation désagréable dans l'estomac.
J'ai très faim, se dit le gamin. Ils ont peut-être fini de se battre au village. Maman doit avoir à manger à la maison. Je devrais peut-être rentrer maintenant.
Itachi se mit debout sur son rocher. Malgré le fait qu'il se trouve en hauteur il ne voyait pas grand chose de là où il était. Les arbres en contrebas lui dissimulaient Konoha.
Quoique ... en grimpant sur l'arbre là-bas j'apercevrais sûrement quelque chose, se dit-il.
L'enfant sauta du rocher et atterrit souplement sur le sol sec et rocailleux. Il se dirigea ensuite vers un arbre imposant qu'il avait repéré du haut de son rocher.
Croâ !
Itachi leva la tête. Le corbeau se trouvait toujours sur l'une des branches.
« Tu es encore là toi ? lui lança le gosse. Inutile de faire "croâ". Je vais monter et puis c'est tout. Croâ ou pas.»
Seulement cela s'avéra plus facile à dire qu'à faire.
Après maintes chutes et autant de bleus sur les fesses, Itachi se trouvait toujours au pied de l'arbre, suant et plus affamé que jamais. Tout pantelant, le gamin s'assit, dos contre écorce, en essayant de ménager son postérieur endolori.
« Y a marre, soupira le gamin meurtri. De toute façon, même si j'arrivais aux premières branches, je suis trop petit pour aller à celles au dessus. Les grands, eux, ils sont assez grands pour y arriver. Moi je ne suis pas grand. Je suis petit.»
Croâ !
Croassement moqueur du volatile perché.
« Toi tu es plus petit que moi, songea le petit. Pourtant tu y arrives. Avec des ailes. J'en ai pas moi.
Il ramassa un longue pluma noire que le corbeau avait perdu.
» Plus tard moi aussi j'aurai des ailes. Comme ça je pourrai te rejoindre en haut. Et je pourrai prévenir tout le village en cas d'attaque. Et puis aussi j'aurai de longs cheveux noirs. Comme tes plumes. Elles sont si jolies ! poursuivit le petit en souriant et en faisant courir la plume d'ébène sur son visage. »
Le corbeau ne l'écoutait pas et faisait sa toilette. Arrangeait une plume par-ci, lissait une autre par-là. Ne s'occupant pas plus du garçon que s'il avait été une souche d'arbre.
Soudain, un souffle de vent fit s'échapper la phanère noire des mains d'Itachi. Avec un petit cri, il tendit la main pour la rattraper. Les barbes soyeuses effleurèrent les doigts tendus ... pour y rester coller.
Ahuri, Itachi regarda la plume gluée à ses doigts. L'observa plus attentivement et eut un sourire ravi. Maintenant lui aussi arriverait à se percher sur l'arbre.
Il fourra la plume dans une poche intérieure de sa tunique, se mit debout face à l'arbre et posa sa petite main contre l'écorce rugueuse.
« C'est comme avec la plume, se dit-il. Il suffit d'attraper l'arbre avec mon chakra.»
Après s'être assuré que sa main adhérait bien à la surface sylvestre, il mit sa deuxième main, un pied, puis l'autre, et entama l'ascension.
Main droite, pied gauche, main gauche, pied droit, encore main droite ... diminuer le flux de chakra quand on décolle ... le remettre pour adhérer ... zut trop ! l'écorce s'est détachée ... flux constant, garder le flux constant ... pas assez ! le membre retombe dans le vide ...
« J'ai tout du crapaud sur une piste savonneuse, maugréa le gamin. 'Faudra que je m'entraîne à monter à la verticale, sur mes deux pieds. C'est vrai quoi : je ne veux pas ressembler à un crapaud ! Yondaime a beau invoquer des crapauds, c'est moche un crapaud. Et puis les crapauds ne montent pas aux arbres. »
Il s'assurait d'avoir toujours trois appuis, deux au pire des cas, sur l'arbre, ce qui lui permettait de ne pas tomber même s'il lâchait prise. Ce qui arriva de nombreuses fois.
A partir des premières branches, l'escalade fût plus facile et il finit par parvenir à la cime de l'arbre. De là-haut il distinguait parfaitement Konoha appuyé contre la falaise et noyé dans les ramures vertes. Pas de fumée, ni explosions en vue. Les combats étaient donc terminés. Restait maintenant à savoir qui était le vainqueur de l'affrontement. Et ça il n'arrivait pas à le voir. Impossible de distinguer la couleur des vestes, ni même l'emblème affiché sur le toit de l'Hokage, que l'ennemi se serait hâté de changer en cas de prise de la ville. Il ne voyait rien de cela. Il était trop loin.
« J'aviserai une fois là-bas, se dit-il.»
Il manqua de peu de se rompre le cou en descendant. Trop épuisé, l'estomac vide, sa réserve de chakra fondait comme neige au soleil et avait fini par se tarir alors qu'il se trouvait à quatre bons mètres au-dessus du sol. Il avait réussi à se rattraper en heurtant les dernières branches après avoir dégringoler sur un mètre. Le choc lui avait coupé le souffle et il avait très mal au niveau de sa cage thoracique. Le goût du sang lui emplissait la bouche et son menton avait violemment cogné contre la branche. Le corbeau s'était envolé sur l'arbre d'à côté pour ne pas se retrouver avec un gamin de 17 kilos sur le dos. Itachi s'était ensuite laissé glisser contre le tronc de l'arbre _ ce qui l'avait laissé tout écorché sur la face ventrale_ et s'était lamentablement écroulé par terre.
Après avoir soufflé un brin, le gosse s'était relevé vaille que vaille et s'échinait à faire disparaître les traces de son passage. Tâche ardue où il se traita de tout les noms les moins polis qui lui venaient à l'esprit, en particulier lorsqu'il se retrouva dans l'impossibilité de recoller les petits bouts de mousse pour leur redonner leur aspect initial de plaque verte.
Une fois qu'il eut terminé_ il devait être un peu moins de midi selon ses estimations_ Itachi avait la tête qui lui tournait à cause du manque de nourriture. A deux doigts du malaise, il s'en alla sous le couvert des arbres. Suivi par le corbeau. Ce qui n'était pas forcément rassurant.
« - Je ne suis pas mort, lui dit le gamin d'une voix enrouée _ tout ce qu'il pouvait proférer dans son état. Et je ne vais pas mourir !
Sur le coup sa voix lui parue ridiculement faible.
» Suis-moi pour une autre raison. Je ne vais pas mourir, dit-il d'un ton plus ferme. Et puis zut! suis-moi si ça te chante. Je vais chercher à manger et toi tu mangeras aussi. Mais pas moi ! »
Et il s'enfonça un peu plus dans la forêt, le corbeau planant toujours au-dessus de sa tête, étrange escorte que, d'après les légendes, nombres de guerriers souhaiteraient avoir.
Une centaine de pas plus loin, enfant et corbeau arrivèrent devant deux attroupements d'oiseaux sombres. Une vingtaine de corbeaux se trouvaient là, agitant leurs longues plumes noires dans un éventail de vocalises allant du "kraa" sec et rocailleux au "rrok" profond et guttural.
Parmi les froufrous de plumes, Itachi aperçut leur bec tâché de sang. Et les restes sanglants d'un ninja, désormais réduit à une bouillie de viande et d'os mis à nu. Avec plus loin les vestiges d'une jeune fille aux yeux désormais mangés. Le rideau de plumes n'arrivait pas à masquer entièrement le festin, et l'enfant avait toutes les peines du monde à retenir la bile dans son estomac vide et les larmes dans ses yeux aussi sombres que la parure des oiseaux.
Après tout c'était lui qui les avaient tués.
***
(petite précision : la suite reprend l'une des "banalités" de la guerre à savoir les viols de guerres. J'y suis allée avec des pincettes mais bon j'avertis pour ceux qui souhaitent éviter ce passage. )
Le crépuscule arrivait. Le ciel portait des traînées écarlates que la nuit s'efforçait de rendre noires, le soleil était coloré de rouge, et, même la lune qui se levait était de sang. Du rouge, du rouge partout. Coulant à flot dans cet enfer, teintant tout, tout, au rythme des explosions, et suivant la danse des kunais.
Lui, il courrait depuis le début du jour. Courait ailleurs. Le plus loin possible. Tapi dans les fourrés, caché dans les trous, fuyant la folie et l'horreur.
Itachi avait fini par réussir à s'éloigner des combats. Il était sale et puait la peur. Malgré tout l'enfant faisait son possible pour ne pas trembler : après tout dans quelques heures il aurait un an de plus. Une ridicule petite année. Qui pouvait tout aussi bien être la dernière.
Mais apparemment il n'était pas le seul à chercher un endroit calme.
Au son des brindilles écrasées, le gosse plongea sous un buisson. Un ninja au bandeau de Kumo s'avançait, portant sur une épaule une jeune ninja inconsciente qui devait avoir douze ans, à peine une Genin de Konoha. Le ninja jeta son fardeau au sol. La jeune fille gémit faiblement au moment de l'impact. Itachi, devinant se qui allait se produire, ferma les yeux aussi fort qu'il le put. Il entendit un bruit de tissu déchiré et le cri de la fille lorsque le ninja la réveilla d'une gifle. Débuta alors de longs cris qui crevaient le silence de la forêt.
Le gamin se força à ouvrir les yeux. Les yeux fichés sur l'homme, il tripotait le kunai que lui avait remis sa mère. Glissé dans son pantalon, retenu par l'élastique, le kunai était entouré d'une bande de pantalon déchiré pour ne pas blesser la cuisse du gosse. Déjà le gamin enlevait le tissu qui enveloppait la lame.
« Réagis baka ! Fais quelque chose, se dit-il en regardant le ninja s'agiter violemment sur la Genin de son village. Le temps qu'il se relève, tu as largement le temps de le tuer. »
Mais il hésitait. Hésitait encore. Le poignard dans sa main crispé. Il hésitait. Et le temps fuyait. Coulait en accompagnant l'éjaculation du ninja dans son plaisir immonde.
Itachi sursauta lorsque les cris s'évanouirent. Le ninja se relevait, le pénis dégoulinant de sang, le manche de son kunai dépassant de la gorge de sa victime. En avait sorti un autre et se dirigeait vers l'endroit où il avait entendu Itachi sursauter, sans prendre le temps de reboutonner son pantalon. Pas le temps d'avoir peur. Et en même temps son cœur cognait tellement fort dans sa poitrine ! Encore un pas, puis un autre. C'est quand le ninja s'était penché en écartant les branches _ s'attendant sûrement à débusquer un lapin_ qu'Itachi avait bondi la pointe du kunai en avant. La lame s'était enfoncée si facilement sous le regard hébété de l'homme. Pris d'une panique indicible, Itachi frappait encore et encore, comme un forcené. De peur que l'autre n'ait suffisamment de force pour tirer son arme, de peur qu'il ne le tue, de peur de la mort qu'il avait donné, de peur de mourir lui. Même le ninja à terre, Itachi continuait de frapper le corps sans vie alors que le soleil achevait de s'éteindre.
Couvert de sang et pris d'une trouille monstre, l'enfant s'enfuit dans la nuit en courant comme un dératé. S'effondra cent pas plus loin, les yeux inondés par les larmes, et vomit tout son saoul. Vomit l'horreur. Recrachait la trouille qui l'étouffait. Gerbait l'atrocité. Dégueulait la mort qu'il avait donné. Le ventre vide, ce n'est que de la bile acide et brûlante qu'il rendit. Titubant comme un homme ivre, fiévreux, il tâtonna dans le noir jusqu'à ce que la lune rouge éclaire un tas de rocher entre lesquels il se blottit. Tentant désespérément d'oublier le visage mort de la défunte. Sa cousine souriante d'avoir été promue Genin deux mois auparavant. Sa cousine désormais aux traits hideusement tirés, le manche d'un kunai dépassant de sa gorge. Le blason des Uchiwas ruisselant de sang.
La nuit l'enveloppa, lui apportant l'oubli et une date à la minuit. La date de son anniversaire. Un an de plus. Il en aurait juré cent.
***
Les corbeaux ne l'avaient pas vu. Ou faisaient semblant de ne pas le voir. Ou bien se fichaient royalement du garçon. Ce dernier s'approchait du corps picoré du ninja, le cœur au bord des lèvres. Les ailes déployées des oiseaux lui cachaient le spectacle macabre de l'homme becqueté. Elles étaient si belles et brillantes à côté de la chair boursoufflée ! Penser aux plumes, pas à ce qu'il y a dessous.
Il finit par repérer ce qu'il cherchait. Ni une ni deux, le gosse plongea dans l'océan duveteux. Le reste ne fut que confusion. Aveuglé, griffé, pincé, l'enfant sombrait dans une folie d'ailes et de serres. Ses mains se refermèrent enfin sur une lanière de cuir.
Lorsqu'il finit par émerger du groupe d'oiseaux, il présentait mal. Les corbeaux furieux te l'avaient sacrément malmené. Ses habits étaient déchirés de tout les côtés, laissant pendre des lambeaux de tissus où transparaissait plaies et griffures. Mais le gosse semblait se moquer de ses blessures comme d'une kutsushita. Il farfouillait avidement dans les restes déchiquetés de la sacoche qu'il avait récupérée.
« Il doit bien y avoir quelque chose à manger là-dedans, pensa le gamin. Tout les ninjas qui partent se battre prennent un peu de nourriture avec eux. Bout de viande séchée ou boulettes de riz, je m'en fiche tant qu'il y a quelque chose.»
Mais rien. Il ne restait rien. Quelques étoiles de jets qui n'étaient pas tombées, des confettis de notes explosives et de parchemins, du sang et puis rien. Les corbeaux avaient dû s'acharner sur la sacoche pour en extraire la nourriture ; il restait quelques grains de riz encroûtés de sang accrochés au cuir. Pas plus. Presque rien. Rien en fait. Il en aurait pleuré de rage et d'épuisement. A genoux, avec ces foutues larmes qui menaçaient de couler, il s'acharna à racler le cuir pour réunir les petits grains rouges.
« Ne pleure pas bon sang ! se fustigea Itachi. Aujourd'hui c'est tanjoubi. Bientôt tu seras ninja ! Alors ne pleure pas ! Pas question de crever ici. Debout et direction Konoha ! »
En tout il avait réussi à réunir 11 grains de riz qu'il mit dans sa bouche, laissant sa salive ramollir les grains. L'enfant se releva tant bien que mal et continua son chemin dans une brume comateuse engendrée par la faim. S'arrêtant juste à un ruisseau pour remplir d'eau son estomac vide. Repousser temporairement la faim, donner l'impression au corps que l'estomac est plein. Pour continuer plus loin. Tenir encore un peu. Marcher.
Le corbeau ne le quittait toujours pas.
***
Il n'arrivait même plus à penser clairement. Il lui semblait qu'il marchait depuis une éternité. Il n'entendait même plus les longs hurlements de son ventre.
Plus il avançait, plus le paysage changeait. La forêt portait les stigmates laissés par la bataille : arbres calcinés à coup de Katon, troncs arrachés et lits de boue charriés par les Suiton, tranchées de terre et failles béantes dues à des Doton et arbres en miettes par les Fuuton et Raiton. Il évitait ces zones, quitte à faire un détour sur un kilomètre ou deux, dans un état second. Il marchait. Point.
L'ombre du corbeau précédant la sienne.
Le soleil brillait. Un 9 Juin ... et le soleil brillait. Un pas. Un autre. Pitoyable automate. Un pas. Un autre. Il marchait. Si encore on pouvait appeler ça marcher ! Un pas. Trébuche. Un autre. Mal au ventre. Douleur lancinante et continue. Un pas. Continuer c'est ça. Un autre. Mal mal. Un pas. Comme un couteau dans le ventre. Un autre. Couteau ? Il avait perdu le sien. Un pas. La veille. Un autre. Trébuche. Non. Un pas. Ne pas y penser. Un autre. Penser ? Un pas. Trébuche.
Pour ne pas se relever.
Croâ !
Itachi releva péniblement la tête. Il distinguait vaguement le corbeau à dix pas de lui. Perché sur un tronc d'arbre couché. Le gamin tremblait. Pourquoi tout était flou ? Pourquoi la terre tanguait ?
Croâ !
Ce n'était pas un tronc d'arbre. Le cœur d'Itachi fit un bond dans sa poitrine. C'était un cadavre. Intact.
Le gamin se mit à ramper sur le sol. Le sol n'était pas stable et l'univers flou. Encore un peu. Un mètre. Cinquante centimètres. Il y était.
La sacoche était écrasée sous le corps mort du ninja. Jamais un corps n'avait paru si lourd à Itachi. Il s'échina à tirer, pousser l'homme inerte et parvint à dégager la sacoche. Avidement, le gosse extirpa du sac deux boulettes de riz et un friand fourré à la viande. Le tout était sec et réduit à l'état de galette mais il s'en fichait pas mal. Sentir la nourriture lui tomber dans le ventre lui suffisait amplement. L'oiseau le regardait attentivement. Perché sur le cadavre, surplombant le garçon étalé par terre, il regardait.
Itachi avait presque tout engloutit. Il avait mangé trop vite et alors la sensation de faim persistait. Pas grave ! Bientôt ça irait mieux. Et il pourrait rentrer à Konoha. Brusquement il remarqua le corbeau près de lui. Qui le regardait.
« - Tu ne vas pas me manger alors ? lui demanda le gosse. Ni me sauter dessus pour me pincer ? »
Le corbeau se contenta de le regarder de ses yeux brillants.
«- Je suis bien content alors, dit le gamin. Tiens !»
Itachi lui posa un bout de riz qui lui restait, sur le sol. Le corbeau descendit du cadavre et avala vite fait bien fait le riz. Mais le gamin ne le vit même pas manger : de fatigue il s'était endormi et pionçait paisiblement, le ventre plein.
Croâ !
Itachi se réveilla en sursaut. Il se sentait vaseux et ses muscles étaient raides ; mais au moins son estomac demeurait muet. Aussitôt il se mit à inspecter son corps et compter ses doigts, juste histoire de vérifier que le corbeau ne lui avait rien mangé.
Le gosse était plongé dans son examen quand l'oiseau s'envola. Un vol précipité. Des grands coups d'ailes désordonnés qui brassaient l'air en espérant aller plus vite. Inquiétant.
« Il y a quelque chose dans le coin, pensa l'enfant sur le qui-vive.»
Sans demander son reste, il partit dans le sillage du corbeau en priant pour que celui-ci ne se soit pas trompé de direction. Et dans la foulée, il maudit sa propre bêtise.
« Combien de temps j'ai dormi moi ? N'importe qui aurait pu arriver et me tuer sans difficulté. Baka ! Un ninja ne commet pas des erreurs pareilles.»
En jetant un coup d'œil par dessus son épaule, Itachi aperçût deux ninjas de Konoha penchés sur le cadavre.
Fatalement ils allaient voir les traces évidentes _ trop baka !_ qu'il avait laissé : herbes couchée sous son poids, sacoche ouverte, miettes par terre ... Il leur aurait crié "Coucou je suis là" avec des loupiottes sur la tête, que l'effet aurait été le même. Horrifié par sa négligence, il plongea sous un buisson proche. Pas assez discrètement cependant ; les deux ninjas tournèrent la tête dans sa direction, cherchant manifestement l'origine du bruit. L'un deux s'avança.
« Il est de Konoha lui, pensa l'enfant. Je ne devrais pas me cacher de la sorte.»
Evite de croiser des ninjas, qu'ils soient ennemis ou de Konoha c'est compris ?
Les paroles de sa mère résonnaient avec trop de force dans son esprit pour qu'il les ignore. Finalement il retint sa respiration et resta tapi sous le buisson.
Mais le ninja avançait, scrutant les alentours, kunai à la main et avançait encore, et encore et ... le corbeau jaillit des broussailles d'à côté comme un diable hors de sa boîte, manquant de peux de percuter la tête du ninja.
« - Ce n'était rien qu'un corbeau. Il m'a fait peur cet idiot !»
Grommèlement du ninja qui retourna vers son camarade.
« - Bah arrête de te plaindre. C'est un bon présage ! Et puis viens donc m'aider à porter Kama jusqu'au village.
- Tu le connaissais ?
- Ouais ... du temps de l'académie.»
Une paire de minutes plus tard, ils étaient partis, emmenant le corps du défunt avec eux. Itachi pût sortir de son buisson. Il sourit au corbeau perché sur un arbre voisin.
« Merci.»
L'oiseau au plumage d'encre inclina sa tête à droite, claqua du bec et s'en alla, tâche d'ombre parmi celles des arbres.
***
Le soleil continuait sa course. Un train-train quotidien, le même chemin, la même parabole tracée dans le ciel. Comme chaque jour. Comme la veille.
Comme la veille. Un jour différent. Le même chemin, la même piste dessinée dans la forêt. L'enfant continuait sa marche.
De jour cette fois. Mais en sens inverse. Il avait craint de croiser beaucoup de ninjas ; mais non. Personne. A croire que les deux qu'il avait croisés étaient les seuls. C'était tout de même surprenant, pensait le gosse. Et il avançait encore. Vers Konoha. Chez lui.
Le mur d'enceinte était désormais visible. En le longeant il pourrait facilement atteindre le souterrain qui donnait directement sur le Clan. Bientôt … il serait bientôt arrivé. Fini le cauchemar. Sa mère le prendrait dans ses bras et il pourrait tout oublier. La veille, le sang, les cadavres, la faim, la peur ... terminé tout ça. La bataille était terminée. Tout irait bien. Tout allait bien. Radieux, le gosse se mit à courir sur les dix derniers mètres qui le séparaient du mur. Mal aux muscles ? Du diable les muscles ! Les dix mètres il les envoya bien vite derrière lui. Heureux c'est tout. Il rentrait. Au contact rêche du rempart, le gamin sourit. Se colla contre ce géant vertical. Si ses bras avaient été assez longs, il l'aurait entouré pour le serrer fort contre lui. Il rentrait. Heureux.
Itachi longeait le mur, la main caracolant sur sa surface. Celui-là plus question de le lâcher ! Il avait bien essayé de courir jusqu'à sa maison mais quelques foulées plus loin il avait dû se rendre à l'évidence : les muscles ne suivaient pas. Alors il marchait. Encore.
Jusqu'à ce que son cœur s'arrête. Un court instant. Pas comme le temps. Le temps continuait sa route. Mais sans lui. Une seconde ... un siècle ... quelle différence à cet instant ? Aucune pour lui. Il n'arrivait pas à la faire. A cet instant.
Foudroyé.
Tellement ... tellement ... il y en avait tant.
Tant ... tant ... des morts des morts des morts.
Un virage et ... un trou. Béant dans le gardien de pierre et de fer. Le mur cassé. Et devant ... devant ...
Tout n'était plus que corps empilés. Rien qu'un enchevêtrement de bras et de jambes. Parsemé de visages figés, barrés d'un sinistre rictus. Au regard vide. L'ensemble parfois hérissé de piques, ou tantôt saupoudré de lames d'acier. Organes mis à nus, bouillie de chair, plaies béantes, les corps n'étaient parfois que de la gélatine flasque. Entre lesquels une rivière écarlate abreuvait généreusement la terre.
Même les charognards ne s'étaient pas approchés.
Il n'y avait que mort et putréfaction.
L'enfer.
Ou ses portes.
Lui, il se trouvait devant. Incapable de bouger. Sauf qu'il fallait bouger. Continuer, ne pas s'arrêter ... mais n'y arrivait plus. Un pas et un autre. Pourquoi était-ce si difficile tout à coup ? Il n'en pouvait plus. Ne le supportait plus.
Avancer rien que ça. Un pas et un autre. Les yeux inondés par les larmes, il se força à avancer parmi les morts. Obligé de piétiner les corps, l’enfant dérapait sur des mains poisseuses, glissait sur des flaques de sang, s’emmêlait les pieds dans des intestins. Jusqu’à finir par tomber. Etalé au milieu des cadavres, le nez sur un visage inerte. Aux yeux fixes qui le regardaient sans le voir. Epouvanté, Itachi hurla. Un hurlement inhumain, chargé de dégoût et empli de terreur. Il hurlait devant l’horreur, hurlait devant la mort. Hurlait encore et encore jusqu’à ce que le hurlement se transforme progressivement en une plainte éraillée entrecoupée de sanglots.
Il aurait donné n’importe quoi pour se trouver ailleurs.
Secoué de spasmes, de hoquets humides et les yeux inondés de larmes, Itachi s’éloigna du carnage. Tout ce qui comptait c’était partir. Loin de la mort. Vers la chaleur de sa maison.
***