Le Loup
Nous sommes réunis autour de la table comme s’il s’agissait d’une session d’urgence mais à bien y regarder ce n’est qu’un simple repas de famille.
Je suis là sur le flanc gauche, entre l’oncle au visage rougi par l’accumulation de petits jaunes et le jeune cousin en pleine bataille d’Azincourt. Je lui suggère quelques stratégies sur fond de chômage, de couches sales et d’invectives anarchistes.
Je suis toujours là , le volume diminue et un cadre noir rétrécit l’image progressivement.
Je sens la légère pulsation de mes veines sur ma joue alors que mon bras soutient ma tête alourdie par des conversations sans fins, par quelques fonds de verres plus profonds que prévus et par des volutes de fumée grise tourbillonnant au dessus de moi .
Il n’y a rien d’exceptionnel, quelques mots se détachent « salle coche » ou « sale boche » et m’attachent ici encore un peu. La brume est de plus en plus épaisse, le ton monte, une et deux octaves , les poings se lèvent et je m’évade . Cryptage du son et de l’image, la bonne parade.
Je ne suis plus là .
Absence et perte de sens je n’entends plus que ce bruit de chaîne . Cliquetis métallique, fer retenant le canidé, avis de panique, je suis figé.
Ma gorge se noue , ma bouche s’assèche .
Visions de folies ou de détresses.
Je serre le cou du chiot terrorisé.
Ni son regard plein d’incompréhension , ni ses pattes battant l’air frénétiquement ou ses couinements insupportables ne me font lâcher . J’ouvre ma paume assassine et laisse tombé la bête au sol, la langue pendue, l’œil vitreux .
La nuit tombe. Un air sinistre et poisseux .
Une chambre commune et anonyme au centre de laquelle trône un landau .
Des pleurs incessants, bourdonnant comme un moteur poussiéreux .
Des vibrations dissonantes ou de simples sanglots.
Ablution, purification, expiation.
Je me saisis du nouveau né par les jambes comme la carcasse de cochon qu’il deviendra et je le fracasse sur les murs . Revers, éclaboussures, coup droit, éclats et blessures , smash cervelle au plat, du sur mesure.
Un ping pong meurtrier au son du « ding » et du « dong » à mort Luther King vive le roi Kong, me voilà sur un ring, sonne le gong .
Plus de yin que de yang « Venez venez j’ai les dents longues ! »
Psaumes sataniques et liturgie lubrique , orgie sur la croix , la femelle je la nique , coup de crique au non du Christ, on s’emploie pour le Saint esprit.
Des vas et viens sur une messe en latin , la foule des fidèles hue ses deux sales chiens qui jouissent pour l'Eternel , « brûlez ces païens ; profanes et criminels ».
L’animal grogne , il frappe, claque , tue , attrape , croque cru . Une seule obédience , sexe et violence, rage , insolence , débauche et souffrance , agir sans limite , sans conscience
Je suis encore là .
La main incertaine, l’œil et l’esprit ensanglanté .
Un réveil comateux, fin du mode veille et retour à la réalité.
Quelques verres brisés , des places vides et des visages de schiste , le murmure lointain d’une confrontation consanguine, il ne m’en faut pas plus pour tout reconstituer.
Je passe ma main sur mon ventre comme pour vérifier que rien ne bouge , aucun être démoniaque , aucun alien, mais ce bruit de chaîne, ce râle haineux....
Je l’entends de nouveau . Le loup est attaché mais il tire encore et encore . Il suffirait de si peu ....
"Tiens! je vais voir ce qu’il se passe ."
Ma sœur abandonne sa fille de six mois dans mes bras.
Elle me sourit puis gazouille . Ca bourdonne … ablution…ablution…
En réponse, un regard doux.
Sincérité ou carnassier ?
Là ou il y a un homme , il y a un loup.
Affamé ou apprivoisé.
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Merci gouki
.
( bon je remets ce texte sur la nouvelle page )