Bonjour, belle journée n'est-ce pas ?
Dans mon délire littéraire, j'en suis venu à formuler un regret.
"Leucocyte" est reconnu, par l'ensemble de mon entourage, comme le meilleur de mes textes. Or il est resté dans le topic des exercices cérébraux, et je trouve ça un peu dommage pour ceux qui voudraient éventuellement le lire alors qu'ils ne le connaissent pas.
J'ai donc été rechercher ce texte. Bien entendu, il n'est en rien inédit, seulement, je préfère l'avoir sous la main dès le premier clic dans la section...
Leucocyte
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J’attends.
Un immeuble. Le long de la Dealey Plaza. Cinquième étage.
J’attends. J’ai une arme à la main. Une arme. Chargée.
Je dois rendre un jugement. Légal ou illégal ? Qu’importe – le résultat sera le même.
C’est pour cela que j’attends.
Je suis la main des patriotes.
Les patriotes m’excuseront. Ils feront même plus que cela. Ils me remercieront, me glorifieront, me canoniseront. Parce que je suis un patriote.
J’aime mon pays. C’est pour cela que j’attends.
J’ai une radio à côté de moi. Je me prépare.
Une radio locale. Qui s’acharne à décrire minute par minute la venue d’un homme.
Un homme blanc. Qui vit dans une maison blanche.
Moi aussi je suis blanc mais ; lui n’est pas blanc. Il n’est pas noir non plus. Ni jaune. Il est pire. Il est rouge.
C’est un rouge. Oui un rouge.
Je suis patriote.
Je rends le jugement des patriotes.
Justice sera faite. J’ai une arme, chargée.
C’est un rouge. Un perfide. Comme tous les rouges. Mais lui est pire. Parce qu’il veut faire croire qu’il n’a jamais été du mauvais côté, qui a toujours été du bon côté, du blanc. Mais c’est faux ; c’est faux, c’est faux, c’est faux, il ne m’a pas eu, il n’a pas eu les patriotes. C’est faux.
Tout en lui m’évoque le rouge. Il a des relations avec les rouges. Il a pactisé avec les rouges. Trahison. Même son téléphone est rouge. Rouge comme le sang, rouge comme l’enfer, rouge comme le mal. Il est le mal. C’est indubitable.
Rouge – je suis patriote.
Rouge – j’attends. « …Le cortège parcourt maintenant les rues de… »
Rouge – comme le mal. Comme le sang. Mais lui, c’est différent. Il est pire que les rouges, ces – ayez mon mépris ! – communistes.
C’est une gangrène. Non ce n’est pas une gangrène. C’est pire qu’une gangrène. Pire qu’un poison. Un poison qui salit, détruit le sang de notre pays, mon pays, mon pays.
Mais je suis là.
J’attends. J’ai une arme à la main. Une arme. Chargée.
Je dois rendre le jugement.
Je dois purifier le sang de la société.
Je suis plus qu’un homme.
Je purifie le sang de la société. Je suis juste. Je suis blanc. Comme les globules.
Je suis un leucocyte. Qui sait ce qu’il doit faire. Qui n’est jamais trompé.
Au milieu du rouge. Mais –
Aujourd’hui est un jour blanc. Dans quelques minutes. Dans quelques instants.
Ce sera novembre blanc.
Il y a trois ans, c’était novembre rouge. Le Rouge est arrivé dans sa maison. Il a pénétré dans le corps de la société, et l’a infecté. Microbe ! Je vais te chasser de ce corps. Te détruire. Parce que j’en suis sûr maintenant, je suis un leucocyte.
J’ai une arme.
Je la prends. La serre entre mes doigts.
Je ne dois pas trembler… Je ne dois pas faillir à la mission qui m’est imposée.
« … Le cortège parcourt à présent Dealey Plaza… C’est un jour important, un grand jour pour Dallas… »
Un grand jour…
Je le vois… Je le vois…
Je te vois…
La fenêtre… Le patriotisme… Le patriotisme m’appelle à aller près de la fenêtre.
Je vais rendre la justice. Ouvrons la fenêtre. Ma main ouvre la fenêtre.
Haine !
Comme un cri. Elle surgit. Maintenant. La haine. Un sentiment qui peut avoir toutes les conséquences.
C’est aussi le sentiment des Américains, des vrais Américains à ton égard. Non. C’est plus que cela.
Espèce de rouge ! De sale rouge !
J’ai mon arme à la main. Une arme. Chargée… Chargée… Le canon est sur le rebord de la fenêtre. Et je le vois encore le rouge, avec son faux sourire, ses signes trompeurs de la main, ses hideuses manières.
Mais c’était avant.
Le leucocyte a fait son devoir. Il a tiré. J’ai tiré. J’ai retiré. Haine du rouge. J’ai tiré trois fois.
Dans sa voiture, j’ai vu le rouge se courber.
Se recouvrir de rouge. Cracher rouge. S’affaisser. Se coucher. Mollement. Comme un rouge. Ce qui a suivi, je ne l’ai pas vu. Les amis du rouge étaient autour de lui. Il s’inquiétaient. S’inquiéter pour un rouge. C’est désolant.
Je n’ai pas vu de blanc. Peut-être que son visage devint blanc. Mais je n’en ai pas vu.
C’était vraiment un rouge. Jusqu’au bout.
Je suis un leucocyte.
J’ai attendu et j’ai rendu la justice.
A présent, je m’en vais. Et derrière moi, la radio.
La radio fonctionne encore.
Et je ne sais pourquoi… Peut-être parce que mon geste était historique. Je ne peux pas oublier les intonations de la voix du speaker. Empreintes d’émotion. Je l’ai entendu.
Derrière moi, la radio disait :
« … Tragique… C’est un jour terrible pour notre nation… Pour notre ville… En ce vingt-deux novembre, vendredi maudit d’entre tous… Ici-même, à Dallas… On vient d’abattre le président John Fitzgerald Kennedy ! »
J'ai aussi fait un petit changement vis-à-vis de la contrainte à laquelle il devait obéir ce texte. Oswald, l'assassin de Kennedy, ayant tiré du cinquième étage, j'ai modifié la seconde ligne
A noter aussi, le passé tumultueux du personnage que j'ai ignoré... Qui avait voulu devenir russe ! Mais bon.