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. Billy Boy, un cadavre et moi
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Chakal D. Bibi
~ Chakal Touffu ~


Inscrit le: 02 Nov 2004
Messages: 1937
Localisation: La Tanière du Chakal

MessagePosté le: Mer 28 Mar 2012, 11:20 pm    Sujet du message: Répondre en citant

ENFIN !!!

Comme quoi, des fois, l'plus dur c'est de s'y mettre :p

Breffons, chapitre 17, enjoy Wink


Piste 17 : Crossroad Blues


Je ne pense pas m’être évanoui avant une heure du matin. Quand j’eus fini le rez-de-chaussée, hier en fin d’après-midi, j’ai voulu aller voir Billy et l’ai trouvé ronflant sans honte et sans caleçon, au côté d’Eurydice. Celle-ci me fit signe de ne pas le réveiller et me pria de décarrer fissa de la chambre. Pétasse. J’ai donc rejoins la cuisine et ai dégoté la bouteille de bibine fabrication maison de Maggie. J’en ai descendu plusieurs verres sur le perron de la maison, fumé quelques cancerettes et suis allé me couché. C’est à peu près tout ce dont je me souviens et c’est pourquoi je ne m’explique pas ce que Billy et moi foutons enchainé par les chevilles à un putain de radiateur dans une putain de cave foutrement humide et malodorante. Il n’y a aucune lumière électrique mais un léger halo arrive à se faufiler par une fenêtre mal condamnée. Voilà donc ce que Maggie fabriquait ici, elle préparait notre cellule. Elle savait évidemment que nous étions responsables du décès, au demeurant regrettable, d’Alex le Vert. J’imagine donc que ce n’est pas encore aujourd’hui qu’on retrouvera le paternel. Et il me vient d’ailleurs à l’esprit cette évidence même que notre voyage pourrait bien s’arrêter ici. Maggie va surement nous zigouiller. Billy remue un peu et se réveil enfin, se massant la nuque de la paume de la main.

« Ah ! Foutre chierie, j’ai un mal de crâne carabiné et des douleurs dans la nuque et le cou absolument déplaisantes ! Ô mon frère, il va falloir que tu m’expliques ce que nous foutons enchainés là, dans ce lieu noir et humide. »

Je le briefe rapidement et il me rassure plus ou moins en m’expliquant que si Maggie nous voulait morts, nous ne nous serions même pas réveillés. Là, il marque un point. La porte de métal s’ouvre dans un grincement sinistre et j’entends Maggie marmonner quelques paroles. Son pas lourd écrase les marches de l’escalier en descendant, et est rejoint par un autre pas, qui semble bien moins assuré celui-là. Notre hôte taponne sur le mur à la recherche de l’interrupteur et on se prend la lumière vive des néons dans les glozzes que je cligne une ou deux minutes avant que le focus ne se fasse. Maggie s’était assise sur une chaise, à trois ou quatre mètres de nous, et s’était emparé d’une pierre dont elle se servait maintenant pour aiguiser son couteau. Pas un petit canif de boyscout, plutôt le genre lame de boucher d’au moins trente centimètres. Le pote de Maggie, probablement un genre d’homme de main, s’avance vers nous d’une démarche plus chaloupée qu’un rafiot dans une tempête. L’enfoiré refoule le mauvais whisky par tous les pores de la peau. On distingue à peine ses petits yeux gris derrière les plis de son visage bouffit et rougit par des années de picoles, sans doute ininterrompues. Il a une longue barbe grise qui se casse la gueule dans tous les sens de son menton bien trop avancé jusqu’à la naissance d’une bedaine qui cache plus certainement une outre à houblon qu’un estomac. Il est vêtu du même genre de treillis que Maggie, sauf que le sien est constellé de tâches de bouffe, de liquides divers et d’autres choses, sans doute, qui échappent à mon imagination. Le barbu s’agenouille face à nous, toujours le cul sur le béton froid que je ne sens même plus. Mes muscles sont complètement engourdis et il me semble ne plus avoir de sensation en dessous de la ceinture. Sans crier gare, le barbu me salue d’un crochet en pleine mâchoire et en offre un autre à Billy. Je crache un glaviot de sang à terre et relève la tête vers notre bourreau pour me reprendre un bourre pif. J’ai l’aspirateur en sang et Billy commence à gueuler mais se prend un revers dans la pommette qui le calme aussi sec. Maggie range sa lame dans son étui et se lève.

« Mes p’tits loups, j’ai comme l’impression que vous n’avez pas tout à fait été honnête avec moi. Je sais que vous avez tué le Vert. Ca ne peut être que vous, bougres de tarés, vous qui semez sur la route tout un tas de cadavres ! »

Billy allait de nouveau protester mais le barbu l’a anticipé et lui fait fermer son clapet d’un bon direct à la mâchoire. Pour un soulard, il a le poing plutôt précis.

« Je vous ferais bien la peau moi-même et sur le champ, j’adorerai pouvoir vous découper avec ma lame et lacérer vos belles gueules, mes p’tits loups. Mais vous êtes les fils de Moriarty, et nous combattons la dictature après tout. Aussi passerez-vous devant le respectable et impartial Tribunal Révolutionnaire que j’aurais l’honneur de présider. Vous serez jugé demain, à l’aube. »

Là-dessus, elle jette à nos pieds une besace de cuir et elle tourne les talons, remontant l’escalier en quelques enjambées. Le barbu nous exprime ses bons sentiments en crachant un glaviot devant nos yeux écarquillés. Ils éteignent la lumière et on se retrouve à nouveau dans le noir complet. Alors ça y’est ? C’est la fin de notre aventure ? C’est comme ça qu’on va mourir ? Après avoir été jugé par une bonne femme souffrant manifestement de diverses frustrations ? Billy entreprend d’ouvrir la besace et en sort un linge blanc contenant du pain et de la viande salée. En farfouillant un peu plus profondément, il dégotte aussi une pipe et un petit sachet de thé, ainsi qu’une bouteille en argile, un briquet et une bougie. Une fois cette dernière allumée (elle éclaire au moins jusqu’au bout de notre nez), il bourre la pipe de thé et me tend la bouteille. Je retire le bouchon de liège d’un coup de dent et avale une grande rasade du contenu sans même essayer d’en connaitre la nature. C’est de l’hypocras, et du foutrement bon en plus ! J’adore ces notes épicées et l’arrière-goût de miel qui vient se tapisser le long de la gorge. Je commence à taper dans la bidoche. J’ai faim et il semblerait que cela soit notre tout dernier repas.

« O mon frère, cette charmante Maggie, malgré son envie de meurtre à notre encontre, sait recevoir. Ce thé est absolument savoureux et si ce doit être le dernier que je consomme, j’en suis ravi. »

J’ai comme l’impression que Billy ne saisit pas la pleine gravité de notre situation.

« Ne t’bile pas trop, ô mon frère, je sais ce qui te trotte dans le rassoudok et, sois rassuré, je suis aussi réticent que toi à l’idée de mourir demain. Mais j’ai comme un espoir qui subsiste que notre bonne amie Eurydice ne se rende utile de quelque manière que ce soit. »

Mouais, je ne compterais pas trop là-dessus, il est fort probable que Maggie lui ai déjà fait sauter le caisson. Billy sort un briquet de la besace et allume la pipe, inhalant de grande bouffée de thé. Ses pupilles se dilatent presqu’aussitôt et l’odeur est tout à fait enivrante. Rien qu’à inhaler la fumée expulsée par le frangin, je me sens devenir tout groggy. Savoureux thé que nous a offert Maggie pour notre dernier repas, on va s’payer une sacrée cène. Il fait complètement nuit dehors, plus aucune lumière ne filtre par le fin interstice de la fenêtre mal fichue et nous avons ingurgité tout ce que contenait la besace depuis plusieurs heures. Je commençais doucement à revenir sur terre, les effets du thé et du vin s’amenuisant. Je ne cessais de réfléchir à une façon de nous faire la belle mais nos chaines sont foutrement bien accrochées à ce putain de radiateur, lui-même fixé bien trop solidement à son putain de mur. J’en viens à la conclusion que c’est la fin du voyage pour Billy et moi. Nous n’aurons même pas retrouvé le paternel alors qu’il faut bien se rappeler que c’est pour sa pomme qu’on a traversé la mer et risqué nos vies sur un rafiot pirate pour s’radiner jusqu’ici et finalement s’faire épinglé par une rouquine mal défraichie en treillis militaire. Billy n’a pas prononcé un mot, ni même émis un son depuis la fin de notre repas. Il reste assis en tailleur, la tête rejeté en arrière et regarde le plafond de pierres depuis une bonne demi-heure. Je te dis, ça pourrait aussi bien faire plus longtemps que ça, je n’ai jamais eu une très bonne notion du temps qui s’écoule et s’fait la malle sans même que tu ne t’en rendes compte.

« Je renonce ! M’entends-tu, frangin ? Je jette l’éponge, malgré tous mes efforts de réflexion, je ne vois pas comment sortir nos culs malchanceux de ce traquenard. »

Que veux-tu répondre à ça. Nous retombons dans le mutisme le plus complet, ne sachant trop quoi se dire, je le distingue fixant droit devant lui dans la pénombre ambiante. Je pourrais lui raconter un paquet de trucs au frérot. Comme je l’aime, comme je suis fier de lui et à la fois inquiet pour sa pomme, pour ce foutu putain de ver de folie qui lui ronge le bon sens et la cervelle depuis qu’il est de ce monde. Je pourrais tout aussi bien lui dire que c’est de leur faute, à lui et sa chierie de connerie, si nous en sommes là, à se geler la peau du fion sur un sol en béton froid, à attendre que la Grande Salope vienne nous chercher dans un dernier riff saturé façon heavy metal. Mais ça, ce n’est pas vrai, je suis aussi fautif que lui. Après tout, c’est moi l’aîné, c’était à moi de le gérer, de le contrôler mais j’en ai été incapable, comme t’as pu le remarquer. Je le connais le p’tit frère, je sais quand il s’apprête à dérailler complet, et au lieu de l’arrêter, de lui coller un bourre pif s’il le fallait, je l’ai toujours suivi muettement et assuré ses arrières en essayant de limiter au mieux les dommages collatéraux. Quand je repense aux bordels qu’on a traversés au cours des seize derniers chapitres, je me dis que là aussi, je me suis magnifiquement foiré. Tous ceux qui ont eu la déveine de s’trouver embarqué dans notre macabre escapade se sont vite retrouvé à partager une grande assiette de racines de pissenlit. Ma jolie môme bien sur, mais aussi Cathy, une prostipute que j’appréciais et que j’ai regretté d’avoir éventré, Mary, Renaud, Mathieu, Alex…Et puis celui avec qui toute cette histoire de cintrés à commencé, le brave Harris, qui repose maintenant sur le perron du manoir 1009, au beau milieu des bois de l’étang des Noes Cherel. Ca en fait un paquet de caves, plus ou moins innocents, qui doivent nous maudire du fond de leur caveau. J’en viens à la conclusion que nous méritons peut être de mourir à notre tour. Nous avons défié la Grande Salope une paire de fois et nous en sommes toujours sortis au prix d’une autre vie, il est grand temps de raccrocher. Enfin, c’est plutôt joli tout ce que je bave intérieurement depuis au moins un paragraphe, mais je bloque quand même sur la conclusion, chierie de merde. Hors de question que je canne, je n’en ai pas du tout envie. Je veux bien admettre que mon existence n’ait pas grand sens mais, bordel à foutre, il y a encore un paquet de choses que je dois voir, goûter, sentir, fourrer, fumer, snifer et picoler pour aller voir six pieds sous terre si y’a encore un rade d’ouvert. Je repense au Crossroad Blues de ce bon vieux Robert Johnson. Je suis aussi à un carrefour de ma vie mais il est foutrement inenvisageable pour votre humble narrateur de se laisser tomber sur les genoux. Je vais simplement attendre que Maggie et le barbu se radinent pour nous emmener à la potence dans deux ou trois heures, et, pendant qu’ils nous détacheront, nous agirons. J’avais déjà envisagé ce plan pendant ma réflexion précédente mais il me semblait un brin foireux alors je l’avais mis de côté. Maintenant, j’imagine que tu te dis que ce plan est effectivement foireux et que tu te poses la question de savoir pourquoi je choisis d’abattre cette carte malgré ce fâcheux détail. Et bien c’est assez simple en réalité, je n’ai plus que ça à proposer. Je compte sur le fait que Maggie ne sera accompagnée que du barbu de tout à l’heure, que l’un d’eux ne nous tiendra pas en joue et que Billy, qui a toujours les glozzes fixés sur absolument que dalle, réagira rapidement le cas échéant. Autant dire qu’on est foutu avec un plan pareil, je te l’accorde. En parlant de Billy, ce con était occupé à déchirer la besace à coups de dents. Mais qu’est-ce qu’il fout ?!

« Jettes donc un œil concentré sur le mur du fond si tu le peux. Pendant que tu monologuais à ta guise en ton for intérieur, je me suis fixé un point en face de nous et ai fini par distingué une forme très précise. A savoir un étal à outils de torture divers, dont une scie à métaux posée sur le bord du meuble en inox. Je l’avais déjà vu quand Maggie et son barbu nous ont rendu leur visite de courtoisie mais je n’arrivais plus à bien le situer. Cela est maintenant chose faite et j’ai besoin d’allonger la portée de cette besace afin de me saisir de la dite-scie. »

Billy…Sacré foutu putain d’enfoiré de Billy ! Il avait repéré la scie depuis hier soir mais a préféré se péter le ciboulot et attendre la dernière minute pour m’informer de son plan, pas très élaboré non plus, certes, mais tout de même plus fino. Il lance son lasso de fortune une première fois et se foire lamentablement, n’atteignant même pas l’établi. Il relance, touche quelque chose. La bouche de fer de la sangle du sac a bel et bien frappé quelque chose. Billy lance une troisième fois et fait tomber l’objet qui rebondit au sol, mais le son est plutôt étrange…Du métal sur du béton, d’habitude ça fait un putain de bruit ! Là, quasiment pas une décibel. Mon frangin relance la besace, cette fois en la tenant par la sangle. Il recouvre l’objet et l’attire lentement vers nous. A défaut de la scie, nous découvrons sous le tissu de la besace une bite en plastique dur. C’est précisément à ce moment que le cliquetis caractéristique d’une clé dans une grosse porte en métal raisonna dans le dojo SM qui nous servait de taule. Billy se saisit du chibre gargantuesque et le dissimule avec une efficacité toute relative sous son t-shirt. Mais alors que l’on s’attendait à voir se dessiner la silhouette de colosse de Maggie, c’est la menue Eurydice qui fait sort de la pénombre à l’approche de la bougie. Elle nous fait signe de fermer nos clapets et utilise une nouvelle clé pour nous libérer de nos menottes. Je lui demande quand même comment elle s’est démerdé pour arriver à faire un truc pareil.

« J’ai trouvé la bouteille de yage que le Shaman t’avait donné et en ai offert à Maggie et ses hommes. Ils planent complètement pour l’instant mais nous devons faire vite, il y a peut être d’autres gardes à l’extérieur de la maison. »

Douce Eurydice, elle nous sauve la mise l’air de rien, nous sommes quittes maintenant. Nous nous carapatons en moins de deux minutes hors de la maison et il nous fallait maintenant retrouver la voiture. Nous contournons l’édifice de bois pour tomber sur une immense grange, suffisamment grande pour abriter un char d’assaut. Nous faisons face à une porte démesurée que nous n’arriverons pas à ouvrir à rameuter sans signaler notre présence aux révolutionnaires qui trainaient encore aux abords de la maison. Encore une fois, Eurydice nous sauve la mise. Je ne l’avais pas vu s’esquiver du côté droit de la grange dont elle revient en courant. A voix basse, elle nous explique qu’il y a une porte, plus petite celle-ci, à taille humaine, de l’autre côté mais qu’elle est fermé à clé. Cette fois, c’est Billy qui prend les choses en main. En levant la tête, il avait repéré une lucarne vers laquelle il est déjà en train de grimper. Il a toujours une incroyable agilité et il gravit sans mal le mur de la grange. Il se faufile à travers la lucarne et la petite porte n’est plus un problème en moins d’une minute. A l’intérieur de la grange, nous retrouvons une jeep, un 4x4 énorme, notre voiture et un foutu putain de char d’assaut ! Sainte Chierie, ces tarés de révolutionnaires ont du le piqué aux hommes du Taulier. Des cris se font alors entendre dehors. Merde ! On est repéré, un des gardes a du trouver les gens de la maison, hallucinant sous les effets du yage, et notre cellule vide. Nous pouvons entendre plusieurs paires de bottes courir dans tous les sens pour finalement s’accorder sur la direction à suivre. La nôtre. Eurydice et moi montons en voiture. Billy me fait signe de prendre le volant.

« Je vais te laisser la délicate responsabilité de tirer Eurydice de ce guet-pied saine et sauve tandis que je m’occuperais de créer ce qu’on appelle communément une diversion. Retrouvons nous à la sortie de cette putain de ferme. »

Billy fonce vers le char et prends place à son bord. Il enclenche le moteur aussitôt et roule droit devant lui, défonçant l’immense double porte de bois et réduisant en bouillie quelques soldats qui attendaient notre sortie, le fusil en joue. Ils n’auront pas le temps de faire feu avant d’être aplati par les chenilles du frangin. De mon côté, je mets les gaz à fond et démarre sur les chapeaux de roues. Je me faufile derrière Billy, puis décarre fissa vers la sortie tandis que le frérot oriente son canon vers la maison de Maggie et la dégomme aussi sec d’un coup d’obus bien placé. La baraque vole en éclat dans une grande déflagration, se débarrassant au passage de tous ses occupants. Adieu Maggie. Billy saute hors du char et se précipite vers la voiture, le brasier derrière lui commence à s’étendre aux cultures, puis à la forêt qui entoure la ferme. Il est grand temps de mettre les voiles. D’autant qu’on avait encore de la compagnie. Une rafale de balle venait de s’écraser dans la carlingue de la voiture, dégommant un rétro et la plage arrière. J’appuis sur le champignon de toutes mes forces et fonce tout droit, sans vraiment réfléchir à la direction. Deux voitures nous suivent mais sont encore loin, on reçoit une nouvelle ration de dragées dans le cul de la voiture. Merde, ils sont beaucoup trop rapides. Nous fonçons à tombeau ouvert vers l’est et arrivons à Ouarzazate. J’entends encore des balles siffler le long de la carlingue et quand je nous crois foutu, les mecs font subitement demi-tour et nous laisse en plan. C’est presque vexant. Je trace tout droit, en prenant soin de ne pas entrer en ville, au cas où il s’agirait d’un piège et que des troupes révolutionnaires soient en train de nous attendre bien gentiment pour nous allumer la tronche. Je dévie vers le sud et nous traversons la frontière, nous retrouvant dans le désert algérien. Nous sommes assez loin de tout et c’est à ce moment précis que la Cadillac décide de rendre l’âme. Le moteur crachote et tousse tout ce qu’il peut avant de se couper complètement, et nous voilà bloqué au milieu de nulle part. Sainte chierie et foutre de bordel ! Nous descendons aussitôt et constatons les dégâts. Le réservoir d’essence est troué. Voilà pourquoi nos poursuivants ont jugé bon de laisser tomber la course et de nous laisser partir crever la gueule ouverte dans ce foutu putain de désert. Et merde. Et merde. Oui, je me répète mais c’est une réalité, nous sommes tout trois enfoncé jusqu’au clapier dans une sacrée foutue belle merde !

Et merde ! Eurydice sort de la voiture, ma besace à moi sur l’épaule. Je la lui prends et l’ouvre afin de faire un inventaire rapide de nos possessions et d’en déduire nos éventuelles chances de survie. Foutre chierie de la Sainte Putain ! Nous étions débarrassé de Maggie et de ses tarés à barbes de cul-terreux, nous pensions nous en être sorti comme des putains de fleurs et CA nous tombe sur le rabe ! A croire qu’un foutu Karma, ou je ne sais quelle autre chierie, s’évertue à nous pourrir l’existence pour nous punir, cons de pécheurs que nous sommes. Bon, nous avons encore deux des bouteilles de vin que j’avais acheté avant de partir pour la ferme de Maggie, deux ou trois boulettes d’opium, environ quatre grammes de thé, un flingue (qu’est-ce que ça fout là, ça ?), un demi saucisson et trois paquets de clopes. Je saisis une bouteille de rouquin et m’en envoie une sacrée putain de rasade au fond du gosier, histoire de me désaltérer et de faire passer toute cette merde. Je devais mettre les choses au clair, réfléchir à tout ça…Je m’allume une cancerette et envoie la besace à Billy qui se roule un thé. Je le laisse apprécier son voyage avec Eurydice sur la banquette arrière de la carlingue aussi inutile qu’un troisième sein (quoique…) et m’éloigne un peu. J’arrache la manche gauche de ma chemise et m’en fais un bandana pour me protéger du soleil. Je vais m’assoir un peu plus loin, histoire de laisser un peu d’intimité à nos deux tourtereaux qui jugent bon de se vautrer dans le stupre quand la vie vient de te baiser avec la délicatesse du gorille en rut.

Pas plus tard que la nuit dernière, j’étais enchainé à un putain de radiateur dans une putain de cave à me geler le cul sur du putain de béton. Je me triturais le rassoudok à la recherche d’un éventuel moyen de nous sortir de la situation dans laquelle nous étions alors. En cette belle fin d’après-midi, je me crame les arpions sur du putain de sable en me demandant comme j’allais tirer le cul de mon lubrique de frère de ce putain de désert. Et comme la nuit dernière, je n’en ai foutrement aucune idée. J’avais fini la bouteille de pinard et en ressentais violemment les effets. Je suis retourné à la voiture où Billy et Eurydice, enlacés, s’étaient endormis sur la banquette arrière après avoir imprimé tous les tissus de la Cadillac d’une odeur imposante et caractéristique de fraiches copulations. Je me suis installé sur le siège passager et ai branché la batterie pour écouter un peu de musique en fumant un thé. Le vin et le dit-thé aidant, ainsi que le superbe blues qu’envoyait Robert Johnson, je ne pense plus à rien et me laisse couler dans les bras de Morphée ou d’un autre connard du genre. Soudain je me surprends à adresser une sorte de prière, j’ai demandé au Seigneur au-dessus, Ai pitié, sauve le pauvre Billy, s’il te plait.

I went to the crossroad, fell down on my knees, asked the Lord above
"Have mercy, now save poor Bob, if you please"
Robert Johnson

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Chakal D. Bibi
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MessagePosté le: Lun 02 Avr 2012, 12:12 am    Sujet du message: Répondre en citant

Trois mois sans réussir à pondre une ligne et 10 pages de sortie en un week end...Comme quoi, faut jamais désespérer hein xD

Enjoy Wink

Piste 18 : I’m Waiting For The Man


Dans la voiture, nous sommes trois. Il y a moi, à la place du mort, m’éveillant doucement sous la chaleur matinale du soleil saharien. Occupant la large banquette arrière de la Cadillac, Billy et Eurydice, toujours à poil et toujours en rut. Je ne sais pas comment ils font pour fournir de tels efforts physiques dans cette putain de chaleur et sans une goutte de flotte. Je profite d’ailleurs du fait qu’Eurydice soit toujours endormie pour poser la question au frangin qui vient de battre des paupières. Il sort de la voiture, s’étire dans un bâillement assez bruyant pour emmerder les morts, et vient s’assoir derrière le volant. Il me demande s’il nous reste du vin. Il reste une bouteille, à moitié vide. Oui, je vois la bouteille à moitié vide, et non à moitié pleine, mais considérant la merde dans laquelle nous nous trouvons actuellement et nos chances de caner augmentant de manière proportionnelle au temps qui s’casse, tu comprendras aisément que je sois d’humeur maussade et un brin pessimiste. Je repose la question de savoir comme il faisait pour garder une telle…Banane malgré la chaleur. Il me répond que

« Quitte à caner ici, ô mon frère, autant que ce soit les couilles vides et l’esprit enivré par les délices de l’amour charnel. Si tu veux tirer ta crampe une dernière fois, je te laisse volontiers mon Eurydice. Je suis intimement persuadé qu’elle sera ravie de te sentir entre ses cuisses humides et musclées. Son sanctuaire est d’un rare confort et tu en sortiras pleinement apaisé. »

La proposition pourrait sembler alléchante mais je décide de passer mon tour. Je te mentirais si j’affirmais qu’Eurydice ci-dormante ne suscite pas en moi une curiosité un brin perverse mais je trouve la chose assez malsaine et je n’ai pas encore renoncé à sortir d’ici. Pour ça j’ai besoin de toutes mes forces. Je jette un œil vers le soleil, il grimpe doucement dans le ciel, direction le Zenith, qu’il atteindra vers midi, depuis l’est. Donc le nord est par-là. Nous avons roulé environ une centaine de kilomètres avant de tomber en rade. Nous devrions pouvoir le faire…Cent bornes à couvrir avant de caner. En marchant bien, avec de bonnes chaussures, de l’eau et de quoi grailler, nous devrions être capables de couvrir la distance en quatre ou cinq jours. Mais nous ne marchons pas bien, nous titubons et nous n’avons absolument rien sinon un reste de thé et de pinard. Encore une fois, mon plan est peu fiable mais c’est tout ce que j’ai pour le moment alors nous ferons avec. J’en parle à Billy qui acquiesce sans ajouter un mot et secoue avec ce qui semble être de la tendresse l’épaule dénudée de sa douce. Elle s’éveille les cheveux en bataille, les cernes creusés et de la bave au coin des lèvres. Elle reste malgré tout foutrement bandante dans son habit d’Eve. Je me secoue la tête, sort de la voiture et me carre une cigarette dans le bec tandis que Billy expose le plan à Eurydice. Elle ne moufte pas, se rhabille et sort à son tour, prête à y aller. Elle pique ma cigarette qui pendait mollement entre mes doigts tandis que je fixais l’horizon, me persuadant que c’était bien le nord et que je n’allais pas nous enfoncer davantage dans le désert, creusant un peu plus notre tombe. Nous nous sommes mis en route et nous avons marché, marché, marché encore, et marché, et marché, et marché. Et encore marché une dernière fois avant qu’Eurydice ne s’écroule sous le poids de la fatigue et de la chaleur cumulée. Ca doit faire environ quatre heures que nous crapahutons dans ce foutu putain de désert si j’en juge à la position du soleil qui devait être arrivé à son Zénith maintenant. Il ne me semble pas que nous ayons dérivé de notre route, je crois bien que nous marchons toujours en direction du nord. Je dois néanmoins reconnaitre que j’ai la carafe en branle depuis bien une heure, que je n’arrive plus à contrôler mon équilibre, que Billy est dans le même état et qu’il est plus que probable que nos pas aient dévié de notre itinéraire de base sans même que je ne percute la dite-déviation.

Tandis que Billy soulève Eurydice pour la jeter sur son épaule, votre narrateur desséché tombe à genoux et s’écroule gueule la première dans le sable brûlant. Le sable absorbe le peu d’humidité qu’il restait encore sur mes lèvres et me crame la tronche mais je n’ai même plus la force de me relever. Finalement, j’aurai p’tet du accepter de prendre Eurydice une dernière fois dans la Cadillac, ce matin. J’entends Billy me crier quelque chose mais mon cerveau n’est plus en état de fonctionner correctement et je ne perçois qu’un bourdonnement avant qu’un voile noir ne s’abatte sur mes glozzes et que je ne dérive complètement vers je ne sais où. Je me réveil dans une cabane en terre cuite, toujours au milieu du désert, et je reconnais la masure en torchis dans laquelle vit cette camée en robe usée et à la mâchoire édentée que j'avais déjà vu lors de notre expérimentation du yage, sur l'Esmeralda. Je me souviens sans mal de cette gueule basanée, cernée, recouverte d’une tignasse brune dégueulasse et emmêlée. Cette fois, les choses se passent différemment que lors de ma première venue. La consistance de mon corps semble plus solide et lorsque son regard se pose sur moi, la maitresse des lieux semble bel et bien me voir. Elle remue légèrement ses lèvres craquelées et gercées, et souffle simplement

« Rentres chez toi. Tu ne lui seras d’aucune aide. Ce qui doit arriver arrivera. »

Là-dessus, c’est à nouveau le flou complet. Je retombe dans le noir complet et suis surpris d’être encore capable d’assurer la narration pour toi alors que je suis tout à fait incapable d’ouvrir les glozzes ou de faire un simple effort de réflexion quant à la situation présente. Je suis, comme qui dirait, dans le coma le plus total. Je ne vois rien, ne sens rien. Je ne suis même plus sur de toucher terre, je me sens simplement flotter dans un vide noir, juste noir, et je dérive là-dedans sans la queue d’un indice quant à ce qu’il m’arrive. Suis-je en train de lâcher la rampe ? J’en ai bien l’impression. Au cours de cette aventure aussi burlesque que macabre, y’a un paquet de fois où je me voyais me taper mon extrait de naissance avec une sauce samurai et m’en suis finalement sortie le cul bordé de nouilles. Mais cette fois, c’est différent. Quel genre d’individus pourrait débarquer là, maintenant, au milieu de nulle part dans ce foutu putain de désert pour nous sauver les miches ? Si c’est ça la Mort, ça craint. Je cherche la lumière mais ne la vois pas, tout reste noir autour de moi. Je n’ai jamais été un grand fana de religion. D’une part, parce que j’ai bien assez de boulot à gérer mon frangin pour en plus avoir à gérer avec les caprices d’un copain imaginaire qui décidera à ma place de ce que je peux ou ne peux pas faire. D’autre part, parce que j'ai grandi à une époque où être croyant revient à être considéré comme mentalement dérangé. Je t’en avais touché deux mots au début de mon récit, depuis que le Taulier est arrivé, il a formellement interdit de joindre les mains ou de se mettre à genoux sur un tapis pour prier un quelconque guignol en soutane, ou à poil, aux intentions tantôt pures, tantôt franchement malsaines. Il m’est arrivé néanmoins de rencontrer des Invisibles, des gens qui vivaient avant le Taulier et qui pratiquaient encore l’une ou l’autre des grandes religions présentes alors. Je me souviens surtout de David, un peintre que j’avais rencontré un soir où Billy et moi nous étions payé une virée dans les duchés de l’est, en Nouvelle-Yougoslavie (elle est réapparue aussi vite qu’elle avait disparue, dit-on). Ca devait être y’a trois ou quatre ans de ça. C’était un grand gaillard qui dépassait sans peine le mètre quatre vingt dix et qui vouait une passion sans bornes aux choses de l’étrange, du surnaturel. Il était par exemple absolument convaincu qu’une route traversant les Etats-Unis du Nouveau Monde était peuplée de créature mi-homme, mi-loups, et que le seul moyen de les vaincre était de les affaiblir en leur jouant du blues et de leur carrer ensuite un pruneau d’argent entre les glozzes. Il y croyait dur comme fer et nous a expliqué que c’était un vieil ami à lui, un chasseur de primes nommé Jimmy Jazz, qui lui avait raconté ça, à peu près pile entre la finition de son Serment et les premiers coups de pinceau de son Sacre. Au début de la soirée, il nous a surtout tenu la grappe avec ses peintures mais voyant que le sujet ne nous interpellait ni moi, ni mon frère, il a dévié sur d’autres choses. Il nous a avoué être en exil dans les Duchés de l’est, espace neutre du Vieux Continent où le Taulier n’a pas complètement la main mise et qui conserve encore quelques libertés de l’avant-bridé. Souviens-toi, Hélène nous avait raconté être née dans un de ces Duchés. En réalité, les différents Ducs achètent leur tranquillité à l’Envahisseur. Ils n’ont pas cherché à l’affronter quand il a débarqué et ils lui ont même ouvert la route vers nos contrées de l’ouest. David se cachait dans ce patelin de Nouvelle-Yougoslavie depuis qu’il avait été accusé de folie. Il faisait partie des Invisibles. Je lui ai demandé en quoi ça consistait exactement et, en lieu et place d’une réponse orale qui m’aurait parfaitement convenue, il m’a refilé un vieux bouquin avec une couverture en cuir noire, sans aucune inscription sinon une croix brodée en fil doré. Il m’a vivement conseillé de le lire. Je l’ai rangé dans mon sac et nous avons continué à palabrer sur d’autres sujets, autour de pichets de bière, plus futiles et moins enclins à nous envoyer à la potence. Quelques jours plus tard, je me suis réveillé avec une gueule de bois carabiné. Billy et moi avions écumé tous les rades de la région, ne dormant presque pas, shooté aux amphet’ et au bourbon pur malt. Le retour sur terre a été plus que douloureux, un de ces matins en particulier où tu te dis : « Plus jamais ça » avant de remettre le couvert le soir même avec une pouliche sur les genoux et un godet dans la main. Mais je m'égare. Ce matin-là, je me réveil donc avec la gueule en vrac et après avoir gerbé tripes, boyaux et quelques autres saloperies dans la cuvette en porcelaine du motel miteux où nous avions élu domicile, je suis allé m’affalé sur le canapé de la chambre. Y’avait un truc qui me rentrait dans les reins, le bouquin en question qui trainait là, va savoir pourquoi. Je l’ai feuilleté, quelques pages par-ci, par-mi. Et j’ai trouvé ça pas mal, pour un livre de contes, quoique un brin donneur de leçon, c’était après tout de bonnes leçons. Bon, comme je te l’ai dit, je ne suis pas franchement amateur de cette idée consistant à vouer ma vie à un mec qui me dirait quoi en faire. D’autant plus que si j’en crois ce que disais ce bouquin, il ne valait mieux pas déconner avec ce Dieu, qu’il était plutôt revanchard dans son genre et que si tu faisais un peu trop le mariole tu te retrouvais en Enfer à rôtir dans un feu éternel. Pas franchement le pied comme épilogue. Tout ça pour dire que David semble s’être trompé quant à ce bordel de religion. Je suis toujours dans le noir complet, je ne vois aucune lumière, n’entends aucune trompette, ne sens aucune flamme me caresser les noix. Je ne ressens aucune quiétude non plus. Après une telle vie, je m’attendais à ce que ma mort soit apaisante. Mais que dalle.

Je me réveil en sursaut, avec la sensation de me noyer. Et pour cause, je suis immergé des pieds à la tête dans une pleine bassine de flotte à la fraicheur aussi bienvenue que surprenante. Je me redresse d’un coup, dans mon plus simple appareil, haletant et un brin paniqué, je ne te le cache pas. Je suis où là, bordel ? Je zieute un peu autour de moi. Au dessus, une toile tendue de couleur beige, autour, des tapis et, dessus, des coussins de toutes les couleurs, et sur les dits-coussins, trois basanés en tunique bleue et à la peau tellement burinée qu’on aurait cru du cuir. Derrière moi, une autre bassine dans laquelle deux autres mecs, le visage caché par un épais foulard indigo, plonge le corps inerte de Billy. Un des caves sur les coussins se lève et me refile un futal blanc et une chemise de la même couleur d’un tissu très léger que je ne saurai identifier. Billy bondit à son tour de la bassine en hurlant comme un damné. En me voyant, il se calme et inspire un grand coup.

« O mon frère, aurais-tu l’extrême bonté de m’expliquer à quoi rime tout ceci ? »

J’en sais foutre rien et je suis aussi pressé que lui de le découvrir. En attendant, on se rhabille. Les basanés nous invitent à nous assoir avec eux sur les coussins, invitation que nous acceptons avec une certaine appréhension. Mais quand ils font péter la bouffe, la dite-appréhension se volatilise. De voir cette viande cuite, ces fruits frais, ce pain blanc et moelleux, me rappelle à quel point j’ai les crocs et le pourquoi du comment devient subitement obsolète. Billy et moi nous empiffrons, arrosant régulièrement nos gosiers d’une eau bien fraiche pour faire passer la barbac’. Nos hôtes nous observent sans piper un broke et restent parfaitement inexpressifs. Billy s’arrête soudainement de mâcher.

« Où est Eurydice ? »

Les hommes en bleu s’échangent quelques regards accompagnés de mots dont je ne bite pas la signification. Qu’est ce que c’est que ce dialecte de sauvage ?! L’un d’eux se lève et sort de la tente. Billy commence doucement mais surement à péter une durite. Je cherche partout du regard ma besace de cuir et la trouve dans un coin, avec le reste de nos affaires. Je me lève pour la récupérer et en vérifie le contenue. Ils n’y ont pas touché. J’en sors le sachet de thé et en bourre la pipe de nacre qu’un pirate de l’Esmeralda avait offert à Billy, en souvenirs, lors du grand barbecue. Je la bourre de thé et en prends une grande bouffée avant de la tendre au frangin qui la repousse, à ma grande surprise.

« Pas tout de suite Jimbo. Ecoutez moi bien, bougre de fiottes, je ne sais pas qui vous êtes, ni ce que voulez, et sacré chierie de merde, je m’en carre pas mal, mais si vous avez fait du mal à ma chère et tendre je vous crame tous, et votre tente à la con avec !! »

Billy est coupé dans sa diatribe par l’entrée d’Eurydice, absolument sublime dans sa robe blanche. A peine a-t-elle fait son apparition qu’il fond sur elle et la sert dans ses bras de toute ses forces, l’étouffant presque, puis il l’embrasse à pleine bouche, lui dévissant presque les cervicales. Je laisse les deux tourtereaux à leurs intenses retrouvailles et sort de mon sac la dernière bouteille de vin que nous avions en stock. J’en prends une grande rasade que j’avale en faisant la moue. Il est chaud, c’est immonde. Je renfonce le bouchon de liège et plonge la bouteille dans la bassine d’eau fraiche qui m’a ramené à la vie quelques minutes plus tôt. J’essaye d’expliquer à nos hôtes qui me fixent toujours de leur regard inexpressif que le vin a besoin de fraichir un peu avant que nous puissions le partager. Autant parler à une poule, ces caves ne bitent pas plus ce que je dis que moi ce qu’ils disent eux. A la suite d’Eurydice, se pointe un nouveau basané, plus vieux, avec une longue barbe noire et une balafre qui lui barre la tronche depuis le front jusqu’à son menton que l’on devine proéminent sous sa broussaille hirsute. Il rejoint notre cercle et se présente à moi. Il s’appelle Mustapha Ibrahim et parle notre langue. Il m’explique que nous avons eu un sacré coup de bol, que lui et ses hommes nous ont trouvé, inconscients, à une dizaine de kilomètres au sud de leur campement. Il me raconte que Billy nous a porté, Eurydice et moi, sur plusieurs bornes avant de sombrer à son tour. Du moins, c’est ce qu’il en a conclu en observant les traces laissées dans notre sillage. C’est comme ça qu’ils nous ont retrouvés. Billy demande à Mustapha s’il était possible, sans vouloir abuser de son hospitalité, d’avoir une tente où ils pourraient se reposer au calme et en toute intimité, Eurydice et lui. Mustapha prononce quelques mots toujours aussi incompréhensibles à un de ses hommes qui emmène le couple aussi libidineux qu’avant leur semi-mort dans ce qui sera notre tente, le temps que nous resterions vivre ici. Mustapha m’informe par la même occasion que nous sommes les bienvenus ici, et que nous pourrons rester aussi longtemps que nous le désirerons. Je le remercie et lui tends la pipe de thé que Billy a refusé. Il m’interroge sur la nature du produit, aussi je la lui explique sans en omettre le moindre détail. Il prend la pipe, prends une grande bouffée et est pris d’une toux relativement violente. Ses pupilles se dilatent à vue d’œil.

« Je ne connaissais pas le produit sous cette forme. Chez nous, on ne consomme que la résine de la plante. Attendez une minute. »

Mustapha sort de la tente et reviens aussitôt avec une plaquette de haschisch qui doit sans peine accuser ses cinq cent grammes. Nous fumons ensemble et discutons de sa tribu. Mustapha m’explique qu’ils sont Touaregs, qu’ils sont les descendants des premiers habitants de cette partie de l’Afrique et qu’ils sont une tribu de nomades. Ils ne prennent pas part aux conflits géopolitiques actuels et s’en balancent même pas mal, tant qu’on ne vient pas les chatouiller de trop près. Le Taulier et la Mafia ont bien essayés de se frotter à eux à quelques occasions mais ils ont vite déchantés. Les Touaregs connaissent le désert comme leur poche, et personne, et il insiste bien là-dessus, avec toute la fierté qu’il peut dégager, personne ne peut les vaincre sur leur terrain. Je le crois sur parole. Je ressors le vin de la bassine, en boit une lampée à même la bouteille pour en juger la fraicheur et l’estime propre à la consommation. J’en verse des godets à mes nouveaux amis et nous trinquons ensemble, continuant à deviser. Mustapha et moi passons la nuit à discuter. Il m’explique leurs croyances, leurs coutumes, leurs traditions. Je t’en parlerai bien ici, mais ça prendrait un temps considérable et, bien qu’il soit passionnant, ce n’est pas le sujet de notre aventure. Alors que l’aube pointe son nez, Mustapha me souhaite la bonne nuit et se retire dans sa propre tente. Moi, je vais me poser sur une dune, non loin du campement, et fume quelques pipes de ce fameux haschisch en contemplant les étoiles. Je reste là une petite heure, puis rejoint ma tente qui dégage déjà la même odeur de foutre fraiche que la Cadillac. Billy et Eurydice sont couchés à même le sol et dorment profondément, collés l’un à l’autre. Je m’affale sur une des couches de toile et m’endors paisiblement de la fatigue du juste camé. En partant aux pays des rêves, je revois le paternel, que j’attends de retrouver, curieux de savoir s’il a toujours ses fringues noires, ses pompes défoncés et son chapeau de paille.

I’m waiting for my man, here he comes, all dressed in black
Beat up shoes and a big straw hat
Velvet Underground

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MessagePosté le: Sam 02 Juin 2012, 9:43 am    Sujet du message: Répondre en citant

Piste 19 : Eve of Destruction


Je me réveil à cause de la chaleur. Il doit déjà faire dans les quarante-cinq degrés, putain ! Je suis en nage et mon t-shirt me colle à la peau. Je l’enlève et vais prendre un bain d’eau fraiche, histoire de me remettre le rassoudok en place et de refroidir un brin mon corps déjà brulant. Je suis plutôt bien à mariner dans la flotte froide alors j’en sors deux minutes pour attraper de quoi prendre mon petit déjeuner et retourne dans la bassine. Je débouche une petite amphore contenant de l’eau pure, et de la boire me fait songer à ce que je donnerais pour m’envoyer un bourbon derrière les amygdales. Chierie de voyage. Nous avons atterris dans ce camp de Touaregs, sans savoir où nous allons, ni même comment y aller. De plus, en considérant le tas de cadavres, entamant probablement leur décomposition post-mortem à l’heure où je t’écris cette bafouille, que nous avons laissé en quittant la Ferme de Maggie, j’imagine que la Révolution doit nous chercher sur tout le continent. S’ils nous mettent la main dessus, je crois que notre espérance de vie va s’prendre un méchant revers…Il est donc tout à fait inenvisageable pour le moment de radiner nos tronches dans un quelconque lieu un tantinet civilisé.

Je me laisse couler dans la bassine, m’immergeant presque complètement, pour rien. Ou pour mieux cogiter. Je ne sais pas trop si ça marche car tout ce qui me vient à l’esprit n’est pas vraiment utile. Je ne fais que me représenter les évidences à savoir que tant qu’on n’a pas d’itinéraire et un moyen viable de le suivre alors autant profiter de l’hospitalité de Mustapha. « Si la porte est ouverte, elle n’est pas fermée. », tu vois le genre de connerie qui m’passe par le rassoudok, je patauge bien plus que je n’avance. Je sors du bain au bout d’une heure, avec l’idée d’aller me laisser sécher au soleil. Une fois hors de la tente, je suis surpris par l’agitation matinale qui règne dans le campement. Les hommes courent dans tous les sens en gueulant des choses qui seraient sans doute plus compréhensibles s’ils parlaient la même langue que moi. Ils brandissent des armes en l’air, des épées, des fusils, des haches, des piques, tout un tas de bibelots pour se foutre sur la tronche. Les femmes se réfugient sous leur tente respective, tenant fermement leurs enfants sous les bras, afin de les protéger un peu mieux et leur montrer qu’ils sont aimés. Enfin j’imagine. Je reste planté là, au milieu de partout, à observer ce théâtre de la vie qui s’articule autour de moi, et aperçoit dans ce foutoir mon cinglé de frangin, qui avait revêtu une des tuniques bleus indigo de nos hôtes et qui porte la ceinture que le vieil Edward nous avait refilé à Ceuta. Je fonce vers lui et l’attrape par le collet avant qu’il ne se remette à courir ailleurs. Je lui demande de m’expliquer ce qu’il se passe.

« Les bridés attaquent ! Il semblerait que les Révolutionnaires aient été stoppés en Espagne, où ils ont été massacrés. Je ne connais pas tous les détails mais le Taulier a décidé de les poursuivre jusqu’ici et de mettre définitivement un terme à la révolte qui gronde un peu trop fort à son goût. »

Les Révolutionnaires ont donc été coupés net dans leur course à la liberté. C’est dommage, ils partaient bien les mecs. Un problème de logistique et d’organisation, probablement. Je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine culpabilité…Après tout, nous sommes responsables de la mort d’Alex le Vert qui semblait officier comme responsable des troupes en Espagne, précisément là où la Révolution s’est prise sa volée. Pour le moment, j’ai d’autres chats à fouetter. Billy m’explique qu’il faut que j’aille m’équiper et me préparer à combattre pour ma vie, certes, mais pas seulement. Qu’il nous fallait aussi nous battre pour celle de nos amis basanés et pour leur liberté. Que lui vivant, aucun bridé ne viendra enchainer ces fiers Touaregs. Billy Boy démontre une fois de plus son incroyable capacité à s’adapter à tous les milieux. Il y a à peine une semaine (Ca fait p’tet un peu plus, voire un peu moins, je t’avouerais que j’ai paumé la notion du temps qui passe depuis que cette aventure a commencé), il était un brave Coquillard, puis un parfait pirate, et aujourd’hui, il est un fier guerrier touareg braillant et bataillant pour sa liberté. Il m’explique que la nuit dernière, tandis qu’Eurydice dormait, il s’était faufilé dans la tente d’Ishmahal, fier guerrier au visage intégralement tatoué d’un scorpion. Ils ont passés la nuit à boire un alcool portant un nom que je serais incapable de retranscrire en langage connu, et à discuter à propos de cette fameuse liberté pour laquelle Billy est prêt à aller se faire buter sur un coût de tête.

« Vois-tu, ô mon frère, ces fiers guerriers des sables combattent pour défendre leur droit à vivre comme bon leur semble ! Il leur est tout à fait impensable, ni même imaginable, de laisser un quelconque ennemi venir leur souffler dans les bronches et leur imposer une manière de passer la vie qui n’est aucunement la leur. Leur combat est noble, et toi et moi, mon frère, sommes des gens d’une grande noblesse et d’un esprit chevaleresque aujourd’hui presqu’oublié, et c’est pourquoi nous irons nous aussi nous battre sur le champ de bataille, sur ces hautes dunes que tu vois derrière moi. »

…Nous ? Nobles ? J’allais rétorquer mais une puissante main s’abat sur mon épaule et, d’une légère pression, me fait effectuer un 180 degrés parfait. Je me retrouve face à un colosse dont le visage est couvert d’un tatouage noir, représentant un scorpion, dessiné pinces vers le bas et la queue, prête à piquer, s’allongeant jusqu’au sommet du crâne luisant de mon immense interlocuteur. Je devine qu’il s’agit là du fameux Ishmahal. Il me jette une tunique bleue indigo et la ceinture de cuir noir que nous avait refilé le Borgne, avec l’espèce de fleuret et le colt. Il me fait comprendre dans un grognement que je dois aller passer ces fringues et me radiner fissa, équipé et prêt à aller me faire charcuter. Enfin, je suppose que c’est ce qu’il veut…Il m’invite d’un grand coup de pied au cul à entrer dans la tente la plus proche pour me changer. Ishmahal ne semble pas parler la langue. Aucune langue en fait. Il ne s’exprime qu’en beuglant, grommelant, grognant, rugissant. Comment Billy a-t-il pu tenir une conversation avec cet animal ? Quoiqu’il en soit, quand il lève son énorme sabre en l’air et hurle au soleil, tous les caves du coin se radinent autour de lui et beuglent en chœur, Billy y compris. Ishmahal peut avoir l’air d’un crétin, il semble en fait être un sacré meneur d’hommes. On n’obtient pas le respect de cinq cent comiques en robe comme ça, gratuitement. Il faut prouver sa fougue et sa bravoure sur le champ de bataille, montrer qu’on sait s’y prendre quand il s’agit de zigouiller un zouave. Je sors de la tente, en tenue et pas rassuré du tout. Nous n’allons pas affronter une bande de pirates avinés, nous sommes sur le point de nous foutre sur la tronche avec l’armée du Taulier, les mecs qui ont conquis les Terres du Milieu et le Vieux Continent. Ils sont entrainés, bien armés et coordonnés. Nous…Je ne préfère rien dire. Les cinq cent guerriers Touaregs, Billy et moi avançons au pas, suivant Ishmahal qui menait les troupes sur son canasson, Mustapha chevauchant à côté. Nous escaladons une grande dune qui offre de l’ombre à une grande partie du campement environ trois ou quatre heures par jour. C’est dire la taille du machin. L’escalader n’est pas simple quand on n’a pas l’habitude de crapahuter dans le désert mais le frangin et moi ne nous en tirons pas trop mal. Arrivé en haut de la dune, c’est une toute autre histoire et je sens mon estomac se contracter. Face à nous, un océan de bridés, en rang bien serré, avec des chars, jeeps et motos. Nous sommes à pieds, chacun se positionne où il veut et la majorité des hommes n’est armée que d’un grand sabre recourbé. Chierie.

Les deux armées se font maintenant face, semblant s’évaluer quand en fait tous les hommes se pissent dessus et prient pour réchapper d’une manière ou d’une autre à la boucherie qui s’bidouille. La tension est palpable. Billy et moi sommes côte à côté, au milieu du fourbie que constitue l’armée Touaregs. Il tremble d’excitation que je tremble de peur. Je me sens comme une pucelle effarouchée sur le point de se faire défleurer par un routier beurré. Autour de moi, les mains sont moites, s’agrippent de toutes leurs forces au pommeau des épées, murmurent des prières, se confessent pour eux même. Les guerriers Touaregs, tout fiers qu’ils sont, savent bien qu’ils vont y passer. L’ennemi est trop bien armé, trop bien organisé. Ca va être un véritable massacre. Pas un bruit sur les pleines ensablées de ce putain de désert sinon les genoux qui s’entrechoquent et les chicos qui nous jouent un numéro de claquettes. Ca respire fort. Soudain, le général ennemi lève un bras, l’abat et c’est un océan de bridés qui se met en branle. Ishamahal hurle au ciel et fonce droit devant, sabre à la main, levé bien haut. Les Touaregs se lancent à l’assaut sans un pet d’hésitation, Billy et moi suivons le mouvement. Je cours, bêtement, tandis que les guignols d’en face ont commencés à faire feu, fauchant céans mes camarades de jeu qui s’écroulent gueule la première dans le sable brûlant. Le temps d’arriver au niveau de nos ennemis, près d’un quart des troupes se sont cassé la gueule mais personne ne faiblit. Ils sont tout bonnement incroyables ces basanés, inébranlables dans leur conviction, dans leur volonté de mourir pour défendre leur honneur. C’est bien tout ce qui leur reste. Je me surprends à penser aux femmes et aux enfants, planqués sous les tentes, derrière les dunes que nous venons de dévaler. Je suis interrompu dans mes pensées par le premier coup de canon tiré par un char qui vient creuser un trou gigantesque dans le sable et dans nos rangs. Le souffle de l’explosion me projette au sol et je me tâte le corps à la recherche de l’absence éventuelle d’un membre mais suis encore entier. Je me relève tant bien que mal, tout à fait sonné. Je reprends mes esprits et aperçoit Billy, au côté d’Ishmahal. Accompagnés d’à peine une dizaine d’hommes, ils tentent de percer les rangs bridés. La force brute d’Ishmahal est impressionnante, dantesque même ! A chaque coup de sabre, il découpe sans mal deux ou trois hommes et Billy, dos à lui, protège ses arrières, tranchant l’ennemi qui essaierait de prendre le guerrier touareg à revers. Les combats au corps à corps ont commencés alors que, comparativement aux tarés d’en face, nous ne sommes plus qu’une poignée. Je jette un œil derrière moi pour voir une bonne centaine de mes collègues le pif dans le sable. Chierie. Côté bride, ce n’est pas la joie non plus. Le combat à l’épée et à la lance est clairement le point fort des touaregs et nos adversaires ne peuvent rivaliser avec nos lames. Je défouraille à mon tour et essaye tant bien que mal de survivre.

All the children are insane
All the children are insane
Waitin’ for the Summer Rain


Les hommes des deux factions se charcutent joyeusement la carafe. Les membres s’envolent dans un arc-en-sanglanté, les tripes ouvertes, certains voient leurs intestins foutrent le camp, d’autres y laisse un glozze ou une oreille. Ils deviennent fous, occultent de leur cœur et de leur mémoire et de leur Légende leur humanité et se foutent sur la gueule dans une symphonie magistrale de hurlement, de sang, de douleur, de déchirement et de tristesse. Toutes ces notes raisonnent dans le ciel de leur opéra tragique et se fracassent les unes contre les autres dans un tonnerre assourdissant. Le Sourd n’aurait pas mieux fait dans sa 9e.

Je dois nous sortir de là ou nous allons y passer. Une fois de plus, je frôle la mort quand une jeep ennemi avec trois bridés à son bord, passe à un demi mètre de ma tronche et s’en va percuter les touaregs à coup de pare-choc. Alors que celle-ci braque pour faire demi-tour, je bondis à l’arrière du véhicule et enfonce mon épée dans le bide d’un premier bridé qui ne s’attendait certainement pas à me voir là. J’égorge le cave qui se trouve à la place du mort et loge une balle dans la tempe du pilote. Je dégage les cadavres et prend le volant, fonce en direction de Billy, renverse quelques bridés au passage et lui ordonne de monter. Il grimpe sans hésiter, ne se doutant pas une seconde du plan que j’ai en tête.

« Ô mon frère, tu me laisses pantois d’admiration ! Avec cet engin, nous allons pouvoir creuser un peu plus les rangs ennemis ! Pied au plancher ! »

Navré, frangin. Mais cette fois, on la joue à ma manière. Je braque, fais demi tour et roule plein gaz vers l’est, nous éloignant le plus rapidement possible de cette tuerie. Billy proteste, m’insulte, gueule, s’étonne, m’insulte encore et me somme de faire demi tour. Il se tient à genoux sur son siège, dos à la route, j’en profite pour lui mettre un coup de crosse sur la nuque qui le mets KO. Je ne suis pas vraiment fier de moi mais je refuse de caner dans un conflit qui ne me regarde pas. Je n’ai pas de convictions, pas de guerre à mener. Je suis peut être lâche mais nous sommes en vie. Les bruits de la guerre s’éloignent progressivement, au bout d’une demi-heure environ, je n’entends plus que le résonnement des canons. Il semble que nous soyons tirés d’affaire. Billy sera furieux au réveil. Je décide de faire une pause et arrête la jeep. Le frérot est toujours dans les vapes. Je m’allume une cancerette et jette un glozze à l’arrière de la jeep. J’y trouve un bidon d’essence, une bouteille d’alcool de riz et quelques armes. Pas de nourriture, pas d’eau. Chierie. Retour à la case départ. Oh ! Putain ! Eurydice ! A l’heure qu’il est et vu comme c’était partie, elle doit être en train de se faire ramoner par une bande de chinois en rut. J’en suis navré pour elle. Vraiment. Enfin je suis surtout désolé pour Billy. Ne va pas te méprendre quant à mon ressenti, Eurydice est une brave fille mais je n’ai pas vraiment développé d’affinités particulières avec elle. A mes yeux, elle n’était qu’une paire de mamelons parmi tant d’autres, embarquée dans notre périple par les facéties d’un destin qui commence sérieusement à me les briser façon casse-noix. Mais elle est aussi la première gonzesse envers qui Billy semblait porter un réel intérêt. Depuis que tu nous suis dans notre aventure, tu as pu te rendre compte que mon frangin était plutôt spécial comme gaillard, pas le genre de mec à s’emmerder avec des attachements matériels ou personnels. C’est une fusée le frérot, un esprit libre et sans limite, sans frontière, sans attache. Je dois être le seul cave sur cette planète pour qui il ait ne serait-ce qu’un brin de respect. Du coup, quand il a rencontré cette petite et a décidé de l’embarquer avec nous, j’ai cru à un simple caprice de plus. Mais je crois qu’il l’appréciait vraiment. J’espère qu’il comprendra pourquoi j’ai fait ça, qu’il se rendra compte des peurs que j’ai pu avoir de nous vois canner tout les deux, et surtout lui, pour absolument peau de balle.

Don’t you understand what I’m tryin’ to say?
Can’t you feel the fears I’m feelin’ today?
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MessagePosté le: Dim 03 Juin 2012, 7:46 am    Sujet du message: Répondre en citant

Je suis vraiment triste pour le pauvre Billy. Quand la belle Hélène est morte, ça ne m'a fait ni chaud ni froid mais là, on vient de découvrir un côté insoupçonné du frère cinglé et ça me fait de la peine.
Sauve Eurydice, Ô Chakal tout puissant !
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MessagePosté le: Lun 04 Juin 2012, 8:15 pm    Sujet du message: Répondre en citant

Piste 20 : Just For A Thrill


Dans la jeep avalant les kilomètres sur l’absence de route traversant un désert qui n’en finissait plus, nous sommes deux, Billy Boy et moi-même. Dans la sono, que dalle. Il n’y avait qu’un disque de musique orientale à la con, le genre avec cithare ou mandoline ou je ne sais quel instrument du genre. A trop forte dose, ce genre de chierie de son a tendance à me retourner les noyaux. Ca faisait environ quatre ou cinq heures que nous avions foutu le camp du champ de bataille et que nous roulions droit vers l’est quand le frangin s’est réveillé et a bondit hors de la jeep, me forçant ainsi à m’arrêter, ce que je ne voulais pas. Nous nous sommes battus, pour la deuxième fois dans cette aventure. Je ne sais pas si tu te souviens, la première fois c’était juste avant de quitter la maison 1009 des bois de Noes Cherrel. On s’était cogné la tronche parce qu’il voulait absolument emmener ce brave Harris avec nous, malgré sa décomposition post-mortem bien trop avancée. Cette fois, c’est pour Eurydice qu’il se bat. Il m’envoie deux ou trois bourre-pif bien sentis.

« Ô mon frère, écoute moi, et écoute moi attentivement. Il est absolument hors de question de laisser la charmante Eurydice aux mains de ces tarés de jaunes ! J’ose te rappeler, ingrat que tu es, qu’elle est notre dévouée épouse, et qu’à ce titre, elle mérite que nous risquions un tantinet nos misérables existences pour la secourir ! »

J’ai le nez qui pisse le sang et je me demande si ce con ne me l’a pas cassé. Après avoir cogité quelques secondes, je me suis dit que la bataille devait être terminé depuis longtemps et que les bridés avaient du continuer leur route vers le sud du Continent, reconquérant petit à petit chacun des territoires gagnés par la Révolution. Nous avons donc fait demi-tour et nous apercevons déjà la grande dune, derrière laquelle se cache le camp des Touaregs. Quand nous arrivons sur le champ de bataille, déserté de toute âme ne serait-ce qu’un poil vivante, on ne peut que constater l’étendue du massacre. Des centaines de corps, probablement plus d’un millier, sont étendus là, sur le sable chaud et rougeoyant d’hémoglobine séchée. Sous cette chaleur, les cadavres sont déjà en décomposition et l’odeur est à gerber. D’ailleurs, je gerbe. Je crache difficilement la bile qui me reste dans l’estomac, me brûle le nez cassé en sentant le liquide acide me sortir les naseaux. Nous descendons de la jeep au pied de la dune. En escaladant je jette un glozze par-dessus mon épaule pour avoir une vue d’ensemble de la scène macabre et distingue les cadavres de Mustapha et d’Ishmahal. L’un a le ventre ouvert en deux et est mort les mains sur sa plaie béante, tentant vainement de retenir ses boyaux à l’intérieur. Quant à Ishamahal, je ne sais pas dans quel état est son corps, ne voyant que sa tête détachée du reste, les yeux encore ouverts et semblant brûler encore d’une incroyable férocité. Nous poursuivons notre ascension de la dune pour découvrir derrière celle-ci le campement réduit en cendre. Billy dévale la pente à toute vitesse, je le suis. La plupart des tentes ont été incendiées, les autres sont par terre. A l’exact milieu de tout ce bordel, un des tableaux les plus horribles que j’ai pu voir dans toute ma chienne de vie. Ces putains d’enfoirés de bridés avaient crucifiés les femmes, les enfants et les vieillards restés ici, à l’abri durant la bataille. Un vaste champ d’au moins deux cents croix se dressaient devant nos glozzes écarquillés. Billy s’avance lentement et s’enfonce petit à petit dans ce champ de macchabés. Je ne tiens pas particulièrement à me promener là dedans. Je pars à la recherche d’eau et de nourriture dans les débris du campement. Alors que je farfouille sous une grande toile et récupère quelques amphores de flotte intactes, j’entends un rugissement animal, sortie droit de derrière la glotte du frérot. Je le rejoins en courant et le trouve agenouillé, la tête dans le sable, devant une croix en particulier. Je lève les yeux au ciel et y découvre Eurydice, nue, sanguinolente, couverte de bleues, de plaies et de brûlures de cigarettes, le con déchiré par une série de viol sans doute plus brutaux les uns que les autres, ses tétons avaient été arrachés à coup de chicots. Elle n’avait plus un seul ongle, ni aux mains, ni aux pieds, et en lieu et place de ses yeux, on ne voyait que deux cavités sombres. Je pose une main sur l’épaule de Billy, pour lui montrer que je suis là, avec lui, et que je suis désolé de ce qui est arrivé à sa belle. Il me demande de le laisser là quelques minutes, d’aller récupérer ce dont nous pourrions avoir besoin, il me rejoindrait dans un instant. Je le laisse donc là, et m’en vais fouiner à la recherche de trucs utiles. Je mets la main sur de la flotte, quelques bouteilles d’alcool que les touaregs faisaient eux-mêmes à partir de je ne sais quoi. Je retrouve aussi la tente de Mustapha, qui avait à peu près été épargné. Je retrouve une plaquette de haschisch, de la viande séchée et quelques fruits. Je fourre le tout dans un grand sac en toile et vais rejoindre le frangin, qui était maintenant allongé en étoile de mer, une cancerette au coin des lèvres, le regard fixé vers les quelques nuages qui se promenaient dans le ciel d’azur. Je m’assois en tailleur à côté de lui, sans péter un broke. On parlera quand il aura envie de parler. En attendant, je confectionne un joint du savoureux hasch de Mustapha et après en avoir pris quelques bouffées, le tend à Billy. Il le saisit doucement, en marquant un semblant d’hésitation dans son geste. Il en aspire la fumée, la recrache, tousse un peu, et bondit sur ses guitares sans donner le moindre signe avant-coureur et file droit à la tente de Mustapha. Il en revient tout aussi rapidement avec une table basse en bois taillé grossièrement dans les bras. Après l’avoir calé au pied de la croix d’Eurydice, il grimpe dessus.

« Aides-moi. »

L’aider ? L’aider à faire quoi ? Foutue chierie de merde, qu’est-ce qu’il trafique ? Billy dégaine son épée et tranche les liens d’Eurydice qui chute dans ses bras, l’emportant avec elle. Je me relève assez vite pour rattraper le couple qui me tombe dessus et m’écrase dans le sable. Je m’extrais de ce tas de chaires vivantes et mortes, et me relève. Cette fois, je pique une crise.

« Bordel à foutre ! Billy, qu’est ce que tu fous encore ?! Ecoute, je sais que tu l’aime et que tu ne veux pas la laisser là mais il est hors de question que nous l’emmenions avec nous ! Tu as été là pour moi lorsque j’ai perdu Hélène, et tu m’as aidé à lui faire mes adieux et à la laisser partir pour de bon, je dois maintenant faire la même chose pour toi frangin, que ça te plaise ou non. »
« Ô mon frère, je n’ai absolument aucune intention de l’embarquer plus loin dans notre aventure. Après toutes les épreuves que cette petite a traversées, elle a amplement gagné le droit de se reposer pour de bon. J’aimerais simplement que tu m’aides à l’enterrer suffisamment profondément pour qu’aucune charogne, humaine ou animale, ne viennent détruire un peu plus sa Légende déjà bien trop amochée. »

Merde. J’ai l’impression de rêver…Lui qui tenait tant à garder Renaud, Matthieu et Harris avec nous, j’aurais cru qu’il ne voudrait jamais se séparer de sa tendre. Et pourtant, il prouve son amour de manière bien plus belle et plus noble que je n’ai sur le faire pour Hélène en la laissant simplement partir, en acceptant son départ sans rechigner, sans même argumenter. Il sait instinctivement ce qu’il doit faire, il n’a pas eu besoin de réfléchir plus que ça. Tout le temps où il est resté là, à méditer devant sa dépouille, je pensais qu’il cogitait sur le meilleur moyen de retaper le corps pourrissant de sa belle. Il m’explique qu’en réalité, il se remémorait le peu de temps qu’ils avaient partagé ensemble avec l’intensité que j’ai vainement tenté de te narrer au cours de ces dernières pages. Nous commençons donc à creuser sous un soleil de plomb, et tenons la cadence jusqu’au coucher du soleil. Entre temps, Billy est allé récupérer un morceau de toile sur une des tentes et offre son linceul à Eurydice. Nous la descendons le plus doucement possible au fond du trou à l’aide de cordages. Mais ils lâchent et le corps s’écrase dans un bruit sourd après trois mètres de chute. Après avoir rebouché le trou, nous restons environ deux heures, buvant l’alcool des touaregs et devisant de tout et de rien. Surtout de rien en fait, de longs silences pesants entre-coupants nos bribes de conversation. La nuit commence à fraichir, on se dit qu’on repartira le lendemain matin. J’allume un feu tandis que Billy est partie à la recherche d’autres amphores d’alcool que ces tarés de bridés n’auraient pas détruites ou embarquées avec eux. Hélène et Eurydice…Ces mômes devraient encore vivre aujourd’hui, si la vie avait été un peu plus juste avec elles, elles se seraient trouvé un mari, un foyer, quelque chose en tout cas, qui vaillent la peine de vivre et de mourir une fois que leurs cheveux auraient viré au blanc et que leurs peaux se seraient tannées comme cuir au soleil. Mais il a fallu qu’elles tombent sur nos pommes de désaxés en cavale. Pour un simple frisson, nous les avons prise par la main et les avons laissé tomber…Billy revient avec deux amphores pleines. Il me dit que c’est tout ce qu’il a trouvé. Alors que nous nous installons autour du feu pour se réchauffer un peu les arpions, une chose assez rare pour être soulignée se produit. Au milieu de ce putain de désert, une masse nuageuse et menaçante se rassemble au dessus de nos trogne et s’éventre pour laisser tomber des litres de flottes sur nos tronches ahuries. Un signe, sans doute, comme un message envoyé par nos mômes, à nous, pauvres caves égoïstes.

Just for a thrill, you changed sunshine to rain
Just for a thrill, you filled my heart with so much pain
Aretha Franklin

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MessagePosté le: Mer 06 Juin 2012, 5:45 am    Sujet du message: Répondre en citant

Chakal, Chakal, Chakal, 'spèce d'Orphée de mes deux, on m'y reprendra, à te demander de sauver une jeune fille en détresse...
Comme on dit dans mes contrées, me salió el tiro por la culata.
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MessagePosté le: Mer 06 Juin 2012, 8:46 am    Sujet du message: Répondre en citant

Et comme on dit dans les miennes......Heu....En même temps les phrases de ch'ti ça sonne toujours très con...

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MessagePosté le: Jeu 21 Fév 2013, 7:28 pm    Sujet du message: Répondre en citant

HOP HOP HOP !!

Bientôt la fin, avant-dernier chapitre de nos aventures !!

Piste 21 : Bad Moon Rising


Nous roulons à travers le désert dans une jeep récupérée sur le champ de bataille que nous avons préalablement délesté des deux cadavres de bridé qui trainaient dedans et nous avons mis cap vers le nord-est, vers le soleil qui se lève, en espérant ainsi rejoindre les côtes. Nous roulons. Encore. A la recherche du paternel qui n’est peut-être déjà plus de ce monde. Et merde. Je redoute toujours la réaction de Billy. Assis à la place du mort, je cherche à savoir à quoi il pense, les yeux rivés sur que dalle, le pied au plancher. Elles sont tout de même impressionnantes ces jeeps, même sous quarante degrés et à cent à l’heure, le moteur ne surchauffe pas. Pour le moment. Je roule deux cigarettes que j’épice avec du haschich, et en tend une à Billy. Nous fumons sans rien dire. A quel point puis-je faire confiance à ces visions que j’ai eues sur l’Esmeralda, dans lesquelles nous retrouvions ce vieux Moriarty pour le voir se faire descendre ? J’ai parlé de ce rêve à Billy avec un brin d’appréhension, me figurant qu’il se paierait sans doute ma tronche, mais bien au contraire,

« Mon frère, ô mon frère, s’il y a une chose que j’ai retenu de l’enseignement de ce filou de Shaman, c’est bien qu’il faut toujours croire le Yage, il est le seul en ce monde qui ne mente pas, qui ne soit que vérité, valeur inestimable s’il en est. »

Ouais. P’tet bien. Je me demande jusqu’à quel point Billy croit à ces conneries. Et si on ne le retrouve pas, que se passera-t-il ? Jusqu’où taillerons-nous la route ? A moins qu’on ne morde la poussière dans ce putain de désert et en ce cas la fin de notre voyage se finira plutôt brutalement. J’avale une grande lampée de flotte tandis que Billy triture le bouton d’une radio trouvée dans la boite à gant. Il capte surtout des grésillements, des sons aigus et continus comme celui d’un moniteur cardiaque indiquant la cessation d’activité du palpitant qui s’éraille. Une voix se fait soudain entendre, mais elle est hachée, à peine perceptible, nous ne sommes même pas certain que le cave au bout du fil parle bien la même langue que nous. Billy triture encore, cherchant un canal audible, en vain. Le soir, alors que le soleil commence à se carapater derrière la ligne d’horizon, nous nous arrêtons et je lève un semblant d’abri avec les restes des tentes récupérés au campement des Touaregs. Je prépare ensuite la tambouille, quelques fruits et de la viande séchée, ainsi que deux joints du fameux haschich de Mustapha. Billy nous bricole un petit feu dans un creux de sable humidifié à l’urine. Il nous faut économiser l’eau. Nous mangeons et fumons en silence, Billy reste là à zieuter les étoiles tandis que votre narrateur éreinté a la cafetière bien trop enfumé pour lancer une conversation. Il se lève soudain.

« As-tu remarqué comme les gens admirent le paternel sans même le connaitre ? Son nom est connu de tous et tous le suivent aveuglement dans son égoïste conquête du monde tel que nous le connaissons ! »

Yep, j’ai remarqué aussi. Ce qui veut dire que si on décide de tuer le père dans un ersatz de tragédie antique et en toge, on aura un sacré paquet de salopards à nos basques. Ca mérite de prendre quelques minutes pour rélfexionner (je sais, je sais) sur la conduite à adopter lorsqu’on retrouvera le paternel.

« Son nom est connu mais très peu semblent avoir vu son visage…Et nous en avons tué au moins deux déjà, et nous savons aussi que d’autres de ces quelques privilégiés ont d’ors et déjà reçu leur épitaphe. »

…Et ?

« …Non, rien. Bonne nuit. »

Et l’enfoiré clôt ainsi sa diatribe, sans plus d’explication. J’essaye bien de le tanner mais rien à faire, le bougre reste figé dans son simili-sommeil. Connard. Cette nuit-là, je ne dors pas vraiment, j’ai de plus en plus de mal à imaginer un quelconque happy end pour cette histoire, que l’on retrouve le paternel ou non. Quand j’y repense, tout a commencé avec Billy Boy, un putain de cadavres sur la banquette arrière et moi. Quelques semaines plus tard et nous voilà à des centaines de kilomètres avec une chierie de macchabés éparpillés un peu partout sur notre route. Et j’te parle même pas du génocide en modèle réduit de Saint Malo. Tout ça pour te dire qu’avec un prologue pareil, je ne me représente pas bien comment ça pourrait s’terminer autrement qu’avec une autre chierie de macchabés dans le sillage. Mais je divague. Sur ces perspectives d’avenir, je vais te laisser et m’assommer le rassoudok, histoire de dormir d’un sommeil qui répare que dalle mais évite de cogiter.

Nous attendons que le soleil commence à nous rôtir sur place pour se remuer les reins. Après un frugal petit déjeuner composé des quelques restes du repas de la veille, je démarre la jeep et nous reprenons notre route, vers le soleil, vers l’est, vers notre paternel et la fin de ce récit qui s’achèvera sans doute avec ce chapitre (ou le suivant, on verra bien comment ça se goupille). Billy, allongé à l’arrière sous une bâche bricolée avec les restes de tente des Touaregs, fume paisiblement et me tend le joint avant de se rendormir. Je désire conserver l’esprit à peu près clair pour le moment. J’attends que le foyer s’éteigne et ouvre la boite à gants pour l’y laisser reposer. Dedans je trouve un paquet de Blue Veins et en tire une. Toujours pas de musique. Le tabac est mauvais, il a passé trop de temps à sécher dans cette boite à gants. Je balance la clope et récupère le pétard. Je farfouille mes poches à la recherche de mon feu et briquette tant bien que mal mais rien à faire, pas la plus petite putain de flamme. Plus de gaz. Sainte Chierie. Je pourrais presque déprimer mais je n’ai jamais pu blairer ça, la déprime. Quel truc à la con, je préfère encore laisser ça aux autres. Je vais p’tet tenir le discours du parfait connard mais je n’arrive pas à biter comment on peut s’laisser aller à se morfondre dans un état de mal-être aussi avancé quand la vie a tant de trucs à offrir. Je reconnais que je n’ai pas forcément pris les plus beaux cadeaux qu’elle avait en stock, mais ne te sens pas forcé d’être aussi con que moi, Billy ou Renaud, qui avons voué nos existences à la poursuite d’un état second ininterrompu. D’accord, je veux bien admettre qu’on pourrait y voir là un moyen détourné de déguiser une déprime inavouée. Je t’arrête tout de suite et je vais parler pour Billy Boy et moi en te disant que nous ne fuyons rien sinon l’ennui, que nous avons appris assez tôt à prendre du recul sur les chieries de la vie pour ne jamais perdre notre volonté de la dévorer morceau par morceau. P’tet bien même qu’on a pas été si con que ça, que le secret se trouve dans le thé et le bourbon, que seuls les éméchés sont fiables et les camés clairvoyant. Va savoir. Mais je divague et crois pouvoir t’affirmer sans trop m’fourvoyer que si je devais lâcher la rampe d’ici quelques pages, je n’aurai pas vraiment de regrets, j’ai plutôt bien vécu. Vite, très vite. J’ai expérimenté tout un tas de trucs, la musique, la joie, la mort, la tristesse, la drogue, l’alcool, le sexe, les voyages, l’autre sexe, la violence, la paix, la mélancolie, la nostalgie, l’ombre, la lumière. Au cours de cette vie, on a croisé des visages, des figures, des existences étranges, détruites, agitées, effacées, sereines, aseptisées, contaminées. Harris, Cathy, Mary, Joe la Pince, le vieil Ours, la Génitrice, Ted le Groom, Hélène, Janine, Matthieu, Marshall Teach, Renaud, Ronnie l’Empâteur, Colin de Cayeux, François Villon, Patte-de-Chat et toute la bande des Coquillards de Saint Malo, Alex le Vert, Buck, Edward le Borgne, le Jeune Edward, le Shaman et tous les pirates de l’Esmeralda, Eurydice, Maggie et les Révolutionnaires, David, Mustapha Ibrahim, Ishmahal et tous les Touaregs, et bien sur ce vieux salopard de Moriarty, notre paternel. Yep. Sacrée chierie de vie.

Cela fait trois jours et trois nuits que nous avons quitté le campement des Touaregs, ravagé par le passage de l’armée du Taulier. Nous sommes à court d’eau et nous n’allons pas tarder à manquer de nourriture. Les maigres réserves se sont vite envolées, contrairement à la brique de hash de Mustapha qui semble ne jamais diminuer malgré notre excessive consommation, ce qui n’arrange rien à la faim et la soif qui se font ressentir avec un poil plus de véhémence à chaque bouffée de hash. Je somnole sur la place du mort, dégoulinant d’une sueur qui s’évapore presqu’aussitôt jaillit de ma peau séchée. J’ai soif, bordel ! Je donnerais n’importe quoi pour un pinard espagnol bien frais, une bière blonde et trois fois fermentée, ou même de l’eau. Je me laisse aller à rêver et je m’imagine à l’ombre d’un bar, un bourbon en main et une petite sur les genoux, un électrophone sur le comptoir qui swing à coup de blues et la neige qui couvre les carreaux, nous dérobant à la vue de tous les autres caves du coin. Sur le moment, je n’y ai pas prêté attention, tout occupé que j’étais à faire un sort à ce bourbon, mais je remarque maintenant que la petite qui me bave dans le cou et me caresse la queue n’est autre qu’Hélène. Je m’approche de son visage pour l’embrasser et constate qu’elle n’est pas la môme que j’ai rencontré à Labaroche cette nuit qui parait remonter à une chierie d’années en arrière. Sa peau est flétrie, bouffée par le sel, ses glozzes absents, ses lèvres éclatées. Elle semble sortie de son tombeau marin, je manque de dégobiller sur le comptoir mais suis tiré de mon imaginaire douteux et macabre par la voix de Billy.

« Secoue-toi, ô mon frère ! Oasis en vue ! Une foutue putain d’oasis ! Confirme-moi que tu la vois et qu’elle pas une illusion de mon esprit en déraille ! »

Une oasis ? Sacré bordel de merde, une oasis ?! Je n’arrive pas à y croire, on est sauvé ! Billy enfonce l’accélérateur et nous arrivons à destination en moins de quinze minutes. C’est bel et bien une oasis ! Billy pile net devant un arbre de palmier et nous nous frayons un chemin à travers un mur d’arbres de toutes tailles, aux ramages épais et d’un vert bien foncé. Nous arrivons au centre de l’oasis, large cercle d’environ vingt-cinq ou trente mètres de diamètre. Une source d’eau occupe une bonne moitié du dit-cercle. On se désape en deux tours de pogne et sautons dedans sans se préoccuper de la profondeur. Je suis d’ailleurs surpris de couler à pic sur cinq ou six mètres de fond. Je replonge la tête mais n’aperçoit pas le fond. Billy et moi nous gorgeons d’eau et restons à patauger dans la flotte en s’éclaboussant comme des gosses jusqu’à ce que la fatigue nous pousse à aller nous allonger à l’ombre des palmiers. C’est là que nous nous rendons compte enfin d’une présence qui nous observe des panards à la cafetière, détaillant dans ses moindres détails notre nudité ». Une gonzesse. Paumée au milieu du désert et se tenant raide sur ses guitares devant une maison en terre séchée. Je connais cette fille, c’est elle que j’ai vu lors de mon trip au yage, sur l’Esmeralda, dans le repaire du Shaman, derrière les tonneaux de rhum. Mais contrairement à la vision que j’en ai eu, elle est plutôt belle. Elle n’a pas quarante ans, présente une longue chevelure brune et brillante et n’est vêtue que d’une simple robe blanche, immaculée. Ses yeux noisette, de concert avec un incroyable sourire, rayonnent d’une certaine malice mêlée d’innocence. Mais je divague. J’enfile un pantalon, Billy ne se donne pas cette peine, et nous avançons prudemment vers notre fortuite et quasi-mystique compagnie. Elle ne nous lâche pas des glozzes tout le temps que nous marchons. On se plante devant elle, Billy la dévisage avec insistance avant de lui demander son blase. Elle ne répond pas. Elle le fixe. Et sourit. C’est tout. Billy lui redemande son blase. Elle ne répond toujours pas. Mais elle sourit. Elle lève la main, me pointe du doigt, et dit enfin d’une voix douce, presque maternelle,

« Tu es Jim, n’est-ce pas ? Et toi tu es donc Billy. Vous êtes les fils de Moriarty. Qu’est-ce qui vous a pris si longtemps ? Ca fait une paye que le vieux vous attends. »

C’est une longue histoire. Mais comment savait-elle que l’on viendrait ? Et que foutrait notre paternel dans ce con de désert quand sa Révolution est en marche ?

« Plus tard les questions. Venez. Et, heu...Billy, aurais-tu l’amabilité de te couvrir ? »
« Haha ! Bien sur ma bonne dame ! »

J’accompagne notre mystérieuse hôte à l’intérieur de sa bicoque en merde séchée. L’intérieur est plutôt vétuste, comme tu pouvais t’en douter. La cabane est composée d’une pièce principale meublée de quelques tabourets et d’une table en bois. Quelques étagères bricolées branlent sur les murs, suspendus à des clous rouillés. A droite de la pièce, on trouvait deux chambres séparées par une cloison dans lesquelles étaient installées des paillasses et divers effets. A gauche, une petite salle de bain et une cuisine, également divisées par un muret. Elle m’invite à m’assoir. Je lui demande son nom, elle me sourit, sort trois verres d’un placard et va dans la cuisine chercher une bouteille de vin qu’elle extrait d’une bassine d’eau froide. Nous buvons en silence. Billy nous rejoint. Il s’assoit et vide son verre d’une traite puis se ressert. Nous vidons la bouteille sans péter un broke. Je fais un saut à la jeep et récupère le haschisch de Mustapha. Nous fumons. Elle va chercher une nouvelle bouteille de vin et je sens Billy qui commence à s’impatienter.

« Bien, bien, bien, chère hôte, douce inconnue, assez de mystères ! Voila plusieurs heures que nous attendons sans rien dire, et bien que l’activité puisse être plaisante, je crois bien qu’il est grand temps de baver tout ce que t’as à nous conter sur tes relations avec notre paternel ! »
« Calme-toi, Billy Boy. Ils ne devraient plus tarder. »

Comme le hasard fait souvent bien les choses, c’est à cet instant très précis que le silence est de nouveau brisé par le bruit d’un moteur qui se fait plus important avant de se couper et d’être remplacé par le claquement de deux portières. Quelques minutes plus tard, dans l’embrasure de la porte, apparait un cave sapé avec un t-shirt noir, un futal noir, des pompes défoncées et un chapeau de paille élimé. Dessous se planque une trogne usé par les années, la picole et la guerre, des yeux verts profonds, encore vifs, mais éclairé d’une étrange lueur, comme une inexplicable pureté. Sa barbe de quelques jours surplombe une large mâchoire carrée et masque mal les marques d’une vie de sacrifice et de souffrance. Et pourtant il sourit de toutes ses dents plombées ce con. Ce vieil enfoiré de Moriarty...
On fait quoi maintenant ?

Je reste absolument et parfaitement immobile. Incapable d’agiter la menteuse ou d’esquisser un geste, je garde les glozzes rivés sur mon père qui s’avance maintenant vers nous, nous salue d’un geste de la main et s’en va dans sa chambre sans rien ajouter. A sa suite se ramène un type que je n’avais plus vu depuis des années. Dans sa chemise jaune pâle et son futal en toile beige, se pointe Will le Rouge, membre des Rainbow Men. Ses cheveux ont blanchi depuis notre dernière rencontre, et il a pris de l’âge dans la gueule, son visage est sillonné par les rides mais ses glozzes bleus et perçants n’ont pas changé, toujours cachés derrière leur fine paire de lunettes à la monture d’argent. Il nous salut d’un coup de chapeau qu’il retire avant de s’assoir. Il se sert un verre. Cul sec.

« J’ai ouï dire que votre voyage jusqu’ici fut plutôt riche en péripéties. »

Will le Rouge. Il parle comme ça. On a du mal à le croire, quand on le voit avec son air de ne pas y toucher, qu’il est un des plus grands génies criminels des vingt-cinq dernières années. Originaire de Corelone, en Sicile, Will a été récupéré et élevé par la Mafia quand il avait dix piges. Et quand je te dis qu’il a été récupéré, c’est une manière élégante de te faire savoir qu’il y est entré de son propre gré en flinguant le petit Luigi, son meilleur ami d’alors. La légende dit qu’il lui aurait explosé les rotules et un bras avant de finalement l’achever. Le tout en faisant preuve du plus grand sang froid. Will a l’air sympa et plutôt arrangeant, mais tu peux me croire quand j’te dis qu’il est sans doute un des dix plus gros salopards de cette planète. Ca me rassurerait un brin de savoir exactement ce que cet enfoiré fout ici avec notre paternel et une nana dont on ignore le blase.

« Cette ravissante créature, mon cher Jim, n’est autre que la Duchesse de Sicile, qui a choisit d’œuvrer pour la cause de ton père plutôt que d’embrasser le confortable destin d’une gosse de riche. »
« Ferme-la, Will. N’écoutez pas les paroles de ce sombre soulard, il cartonne au gin et au thé dès le réveil. »

Billy fait un bond sur sa chaise et se tourne vers Will qui éclate de rire, farfouille dans ses poches et jette devant mon frère un sachet de thé et du papier à rouler. Billy s’empare du plastique, l’ouvre et renifle d’un grand coup d’aspirateur l’odeur enivrante de son contenu.

« Si je ne m’abuse, ce thé ne t’est pas inconnu. »
« Je ne pourrais oublier un tel parfum ! Mais comment te l’es-tu procuré ? »
« Avec les compliments du Jeune Edward ! J’ai moi aussi mes amis sur l’Esmeralda. Elle mouille au moment même où nous palabrons à environ cinq cent kilomètres au nord. Edward et le Shaman m’ont conté votre traversée alors que nous partagions le Yage. Ah ! D’ailleurs, voilà de la part du dit-Shaman.»

Sur ces mots, Will ouvre sa besace et en sort une petite amphore en terre cuite et une bouteille en verre, toutes deux closes d’un bouchon de liège. Dans la première, une pleine ration de Yage, la seconde contient du rhum ambré, fabrication maison. Enfin navire. Enfin tu m’as compris. Billy prépare le thé tandis que je remplis tous les verres de rhum. Nous trinquons ensemble. Moriarty revient alors dans la pièce, se prend un verre et s’attable avec nous. Comment Billy va réagir, comment je vais réagir, j’en sais foutre rien. Les emmerdes se font sentir et en jetant un glozze par la fenêtre, j’aperçois une mauvaise lune se lever.

I hear hurricanes are blowin’, I know the end is comin’ soon
Creedence Clearwater Revival


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MessagePosté le: Lun 25 Fév 2013, 6:58 pm    Sujet du message: Répondre en citant

'pis bon, un jour faut bien terminer le machin quand même...


Piste 22 : Castles Made Of Sands



Autour de la table nous sommes cinq. Il y a Billy Boy, Moriarty, Duchesse, Will le Rouge et moi. Au centre, de quoi nous souler et nous emmener planer vers de plus verts pâturages. Alors on boit. Alors on fume. Alors on ne dit rien, on se regarde, on se jauge, on évalue la situation et on cogite très sérieusement sur la meilleure manière de démarrer cette conversation qui pourrait finir d’une chierie de façons diverses selon les humeurs des tarés présents ce soir. Billy se tourne vers le paternel et se lance, sans aucune forme de prologue, comme à son habitude.

« Alors, quoi ? Allons-nous rester là, à se regarder comme les cons que nous sommes et picoler jusqu’à ce que l’un de nous canne d’une cirrhose malvenue ? »

Moriarty ne répond rien, reste planqué sous son chapeau de paille. Il se ressert un verre et le boit à petite gorgée, sans le décoller de ses lèvres, n’effectuant qu’un léger mouvement de balancier des mandibules.

« Billy Boy, il te faut savoir que Moriarty ne peut malheureusement plus parler. Tu as raison, le temps est venu de tout vous expliquer. Tout commence il y a trente ans, quand le Taulier s’est mis en mouvement avec ses armées depuis le Grand Empire d’Orient jusqu’aux frontières occidentales du Vieux Continent. Je n’étais pas encore né à ce moment de l’histoire. Mais des gens comme Moriarty, Scott Shelby, Maggie, Ernesto (des noms qui vous sont peut-être familiers) étaient déjà dans la force de leurs vingt ans et ont senti le vent tourner. Les duchés de l’Est, terres séparant le Continent Orientale du Vieux Continent, avaient conclu des accords avec le Taulier. Sous réserve d’un impôt annuel et de la libre circulation à travers leurs terres, le Taulier s’est engagé à laisser les ducs jouir de leurs biens. Quand les soldats du Taulier furent arrivés aux frontières continentales, en lieu de résistance armée, ils ont trouvé des routes toutes tracées vers l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, la France et l’Espagne. En cinq ans de guerre, le Taulier a conquis la moitié du monde connu. Moriarty et sa bande ont alors foutu le camp vers le Continent d’en Face et se sont établis à Tanger. Là-bas, ils ont mis en action leur plan de reconquête du Vieux Continent. C’est à ce moment que la Révolution naquit. Ils engagèrent tous les talents qu’ils pouvaient, les bonnes âmes comme les pourritures. Seul le génie et le talent comptait. Ainsi, ils financèrent leurs opérations grâce au trafic de drogues, d’alcool, d’armes, à la prostitution, au vol etc. La Révolution a ses hommes dans tous les pays de ce vaste monde, dans chaque grande ville. J’ai pu constater de mes propres yeux que le fonctionnement de la Mafia et des Révolutionnaires était très similaire. Pendant les vingt années qui ont suivi, Moriarty et la Révolution ont tout mis en place pour renverser le Taulier. Je me souviens à peine de comment c’était avant, mais votre père a su nous convaincre, tous, que si cet avant était loin d’être parfait, ça valait tout de même foutrement mieux que la dictature colonialiste du Taulier. Vous pouvez être fier de votre père, car au fil des années, il est devenu un héros, puis un symbole. Personne ne l’a vu, ou presque, et pourtant tous se battent pour lui et son idéal de liberté. »

Au cours du voyage, j’ai pu constater que le paternel était une sorte de pointure, mais je ne croyais pas qu’il était aussi célèbre, admiré et adoré. Que des millions de gens se charcutaient la tronche actuellement pour un cave qu’ils ne connaissent que de nom, que de ce qu’on leur en dit, que de ce qu’on leur met sous les glozzes. Sans doute pas grand-chose. Ils ne connaissent même pas son visage, si j’en crois Will. Moriarty n’a toujours pas pété un broke et reste calfeutré dans son mutisme, grognant un coup par-ci, ricanant un autre coup par-ci aussi, ou bien par là. Moi je ne dis rien non plus, j’écoute le Rouge nous raconté dans ses grandes lignes la naissance de la Révolution, mais il y a encore quelques bricoles pas tout à fait claires dans cette histoire. Pourquoi s’est-il barré ? Pourquoi nous avoir abandonné, nous et la génitrice, sans doute valsant au bout d’une corde à ce moment du récit ? Et, encore une fois, qu’est-ce qu’il fout ici, au milieu de que dalle, avec cette Duchesse en haillon (mais étrangement excitante) ?

« Vous...N’étiez pas réellement attendu. Quand Moriarty a rencontré votre mère, il venait d’infiltrer les hautes sphères des services de police du Taulier. Le mariage faisait parti de la couverture. Mais nous avons découvert qu’un type, Baldy Brixton, un ripou du Nouveaux Monde, menait son enquête sur votre père. Alors nous avons jugé plus prudent de simuler ce braquage foireux. Il a fait ça pour vous et pour elle, car même si son cœur ne lui appartenait pas, il l’a aimé, à sa façon. »

Son cœur ne lui appartenait pas ? Sans rire. La Duchesse fond alors en larme. Moriarty se marre. Là, je revois Hélène, dans mes bras, toute ensanglantée et trouée et fumante dans cette cabane paumée au milieu des bois de Lau Haizeta. Et puis je me secoue un brin le rassoudok et je me surprends à biter ce qui parait maintenant tout à fait évident. Moriarty n’a jamais aimé la génitrice. Elle lui était utile. Il la traitait bien, et l’appréciait, mais il ne l’aimait pas.

« Soyez indulgents avec votre père, il a fait son devoir, il l’a fait pour vous, pour le monde. »
« Pour le monde ou pour sa pomme ? »

Billy…

« Ce que je vois, messieurs, madame, c’est que Moriarty ci-présent a épousé une femme, par intérêt, lui a fait des enfants, par intérêt, puis les a abandonné et a couru rejoindre la seule gonzesse encore bandante à ses yeux, laissant ainsi s’étriper une bande d’illuminés suivant aveuglement son bon vouloir sans y réfléchir un tantinet. »
« Billy, tu ne comprends pas ! Moriarty a souffert de vous abandonner !»
« Non, sieur le Rouge, je ne bite rien, en effet, éclairez-moi donc. En quoi était-il si difficile pour cet enfoiré d’abandonner ses bâtards ?! »
« Car vous êtes mes fils ! »

La Duchesse avait bondit de son fauteuil et j’avoue rester une fois de plus parfaitement stoïque. Un silence lourd se casse la gueule sur nos carafes ahuries et tout devient subitement un peu plus limpide. La génitrice n’est pas celle que l’on croit. Je regarde Moriarty dans les glozzes mais celui-ci les détourne. Il va à la cuisine et en revient avec une nouvelle bouteille de vin qu’il vide en quelques gorgées, directement au goulot. Et maintenant quoi ? Will apaise la Duchesse qui se rassoit. Elle étouffe un sanglot et s’éclaircit la voix avec un peu de rhum.

« Jim, Billy, vous êtes mes enfants, mais je ne pouvais vous garder avec moi. Quand vous êtes arrivés, à moins d’un an d’intervalle, votre père et moi vivions déjà ici. C’est d’ici que nous opérions en collaboration avec Alex le Vert, Maggie, Jack le Blanc, et d’autres généraux et agents de notre Révolution éparpillés à travers le monde connu. Quand Moriarty a feint de rejoindre le Taulier, il vous a emmené avec lui sur le Vieux Continent, afin de vous protéger. »
« Et de se servir de nous comme parfaite couverture, quoi de mieux pour le Taulier qu’un flicard avec une bonne femme et deux gosses en bas âge ? Quasiment insoupçonnable, hein ? »

Je sens Billy bouillir un peu plus à chacune des paroles de la Duchesse ou du Rouge. Et Moriarty ne dit rien, continuant ses onomatopées. Quoiqu’actuellement, il ne grogne même plus, tout absorbé qu’il est par la confection d’un thé. J’en profite pour en placer une,

« Will, qu’est-ce que tu fous ici, avec eux, à jouer les chauffeurs ? »
« Sachez que sans moi, Moriarty serait, sans aucun doute possible, mort à l’heure où nous parlons. Lors des premiers affrontements ouverts à Cape Town, dans les Terres du Sud, il a été capturé et torturé. Ils l’ont fouetté au sang et lui ont tranché la langue. Ils l’auraient achevé si ce vieux Moriarty n’avait pas trouvé le moyen de s’évader. Mais je ne peux qu’imaginer comment il s’est débrouillé pour s’en tirer et se retrouver là où je l’ai récupéré, au beau milieu du désert, à errer sans souvenirs de qui il était ou de ce qu’il faisait. Je m’étais moi-même échappé de Robben Island quelques jours plus tôt, avec l’aide de Jack le Blanc. »

Je me tourne vers la Duchesse, ma mère, qui oscille de la carafe pour confirmer les dires de Will. Je me tourne ensuite vers Moriarty qui relève le nez pour allumer son thé. Il ne briquette qu’une fois, la flamme jaillit et le joint s’embrase. Il disparait à nouveau, pour quelques instants seulement cette fois, derrière un épais nuage blanc. Billy bondit de sa chaise et se carapate à l’extérieur. Je prends quelques secondes pour cogiter. Rien ne vient. Je me lève à mon tour et part rejoindre mon frère.

La nuit est tombée depuis quelques heures déjà, une mauvaise lune, aussi pleine que nous, éclaire l’oasis et Billy, planté en son centre, immobile. La tête penchée en arrière il contemple le ciel. Je titube vers lui, claquant des chicots et assurant un semblant d’équilibre. Je me suis levé un peu vite, moi. Je m’assois à côté de Billy et roule deux cancerettes. Il s’assoit à son tour. Je lui tends une clope. Nous fumons sans rien dire. Qu’allons-nous faire ?

« Toi, tu dois suivre ton chemin désormais. »

Hein ?

« Ô mon frère, comme tu es resté avec notre fausse mère après mon départ précipité lorsqu’on a cru au décès du paternel, je vais rester avec notre vraie mère, reprendre le nom de Moriarty et achever son œuvre. Quant à toi, tu te dois de suivre ta voie. Ta place n’est plus avec moi, tu as suffisamment veillé sur mon esprit et mon âme, il est temps de prendre soin de la tienne.»

Il n’a pas détourné son regard du ciel et son timbre n’a pas oscillé, sa voix gardant le même ton léger, sans gravité, sans prétention, ni même appréhension. Et puis, je me dis qu’il est p’tet dans le vrai, qu’il a eu une de ces épiphanies qu’il a parfois, quand tout devient subitement limpide pour lui, d’abord, et pour moi ensuite. Je me suis occupé de lui et de ma fausse mère toute ma vie, je devrais faire quelque chose pour moi, remonter au Nord et rejoindre le fier équipage de l’Esmeralda. Après une vie passée avec Billy Boy, une seconde en compagnie de pirates pourrait même être reposante. Billy et moi rentrons faire un topo à nos hôtes. La Duchesse refuse d’abord, prétextant que cette guerre lui avait déjà pris un mari, et qu’elle refusait de lui donner un fils en prime. Je te passe ses exclamations larmoyantes quand j’ai annoncé que j’allais embarquer avec Edward le Borgne. Will semble ravit de l’idée. Il sourit de toutes ses canines. Je ne peux l’affirmer avec certitude mais, à la foutue putain de lueur de malice qui éclaire son regard trop bleu pour être clair, je serais prêt à parier ma queue en ragoût que cet enfoiré a tout manigancé. Mais je me fous maintenant de tout ça. J’aide la Duchesse, ma génitrice (j’ai du mal à m’y faire), à déplier quelques paillasses supplémentaires et vais m’écrouler dans la chambre de Moriarty. Will me rejoint un peu plus tard. Il s’allonge sur la paillasse voisine et m’explique que Billy est allé dormir dans la jeep.

Le lendemain matin, j’ai fait mes adieux à mes parents. A Moriarty, qui ne me connaissait plus, et à la Duchesse, que je viens à peine de rencontrer. Ensuite, je suis allé voir Billy qui ronquait toujours dans le coffre de la jeep. Je le réveil d’un coup de tatane et lui tends une tasse en terre cuite contenant du café. Je lui tends aussi un thé. Il se remue enfin le cul et me fait une place. Nous nous asseyons côte à côte au bord du coffre, les panards effleurant le sable déjà chaud. On se rappelle quelques conneries de notre enfance, et puis on se dit au revoir en se souhaitant bonne chance. Ensuite il saute sur ses guitares et fout le camp sans se retourner vers la cabane en torchis. Will me rejoint et nous partons avec sa bagnole vers les côtes, au nord. Je ne suis pas convaincu de faire le bon choix en laissant Billy à son sort, mais il semblait sur de lui, à moi de lui faire confiance. Et de me faire confiance. Moi aussi je dois m’occuper de moi. Nous avons parcouru un sacré bout de route, construit et détruit tout un tas de relations, d’espoirs et de rêves. Je ne m’attendais pas à ce que ce périple s’achève ainsi, ça se termine plutôt bien finalement.
Et puis la vie de pirate, ça me branche bien.

And it really didn’t have to stop, it just kept going
And so castles made of sand slips into the sea, eventually
The Jimi Hendrix Experience

_________________
[quote="Speed Hunter"]Chakal lui c'est un héros de musicien ![/quote]
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